Je pars ma piscine. Je fais ça tôt, fin avril, c’est plus facile. Les mains dans l’eau frette, j’entends les enfants piailler sur la cour. À ce temps-ci, sans neige au sol, sans feuilles dans les arbres, le son est encore plus clair. Ça gazouille, ça pépie, ça jase. Un concert d’oiseaux qu’on entend de partout. C’est l’âme du village.
Ça me ramène au printemps à l’école. J’étais là, en plein milieu de la scène. C’est souvent moi qui donnais le signal, qui tenais la baguette.
« Vous pouvez enlever vos manteaux! »
Eh monsieur! L’explosion de joie! Ça s’exprimait en courses, en cris et en bravades. J’entends le bruit de freinage des espadrilles dans la petite roche abrasive. Je les vois, bras au vent, se sentir conquérants par le seul privilège d’être dehors en manches courtes. Les voilà debout agrippés au haut des modules de jeux, droits comme des capitaines.
Je revis tout ça en vérifiant l’étanchéité de ma tuyauterie de piscine. Je me revois, les dernières années, les bras chargés de leurs manteaux. Un porte-manteau alourdi et fatigué. La tête ailleurs.
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Le désir d’écrire.
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J’ai commencé à travailler avec les enfants en 1983. Dès le début, je me suis senti comme eux au moment d’enlever son manteau au premier jour de chaleur du printemps. Je courais avec eux, j’apprenais avec eux. J’étais, moi aussi, un conquérant, un guerrier, comme dans mes sports, comme lorsque je jouais au hockey ou au soccer. J’étais dans le moment présent, dans une sorte de plénitude. L’un des endroits les plus paisibles et les plus vrais que l’on puisse connaître dans l’existence.
Au tournant du siècle, j’ai commencé à regarder par la fenêtre, à penser à autre chose. J’ai commencé, malgré moi, à prendre de la distance avec mon travail. Je sortais de la plénitude par petits bouts. Je me disais que c’était peut-être juste le fait de vieillir, que notre rapport au travail change avec le temps. Un peu comme tout le monde, j’ai troqué l’enthousiasme des débuts pour la maîtrise, le savoir-faire. Moins de flamme, plus de braise. Je me faisais une raison. J’ai continué d’aimer, vraiment, mais davantage par devoir.
Je n’ai jamais vraiment accepté ça.
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Je n’ai pas mis les pieds dans la cour d’école de toute l’année. J’ai tourné autour sans traverser. Même lors de la rando en raquettes, je les ai attendus à l’extérieur de la cour. J’ai fait des bye-bye au loin avec un large sourire, le cœur serré, mais je ne me suis pas rapproché, comme si cette distance prise au fil du temps, je voulais l’achever. Je le ressens comme une sorte de… punition.
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Je n’ai pas toujours été l’éducateur que j’étais à mes débuts.
Je m’en sens coupable.
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Un jour, j’ai cessé de courir en manche courte avec les enfants le printemps. J’étais appelé par d’autres feux, d’autres désirs, d’autres courses.
L’amour se transforme avec le temps.
Tu peux encore l’enlever ton manteau.
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J’ai dû acheter un petit seal en caoutchouc à 70 cennes. Plus rien ne coule, ma piscine est prête. Je me vois déjà cet été en train d’y mariner en écoutant du Dylan ou du Neil Young. J’aurai presque fini mon livre. Les enfants seront en vacances. Et la cour, silencieuse.