Le Val-Ouest

Quand le bénéfice est capital

Ce texte est tout d’abord paru dans la plus récente édition du Moulin Express de Lawrenceville.

Je tente de comprendre, mais je sens bien que le dossier me dépasse. Un haut dirigeant d’entreprise vient de se voir montrer la sortie pour raison de profits insuffisants. Rien de bien nouveau. Mais attention, le contexte est fort particulier. Nous connaissons tous la multinationale Danone, un géant français de l’alimentation, notamment connue pour ses yogourts Activia et son eau Évian. Son chiffre d’affaires : 24 milliards d’euros soit environ 36 milliards en dollars canadiens. C’est une coquette somme.

Sur son site, Danone se présente comme une entreprise soucieuse de son impact social depuis cinquante ans. C’est bien. Ça s’inscrit dans le mouvement dit d’investissement responsable. Au début des années 1970, ce mouvement se précise en retenant trois critères : Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance qui définissent la norme ESG.

En 2017, Emmanuel Faber devient PDG de Danone. Il est un fier défenseur de l’approche ESG. Il a été remercié le 21 mars dernier. Le Conseil d’administration a dû céder aux pressions des investisseurs. Emmanuel Faber suggérait que l’on déduise des profits réalisés le coût du carbone produit par l’entreprise. Cela se voulait une façon de faire ressortir les retombées positives pour la survie de la planète des choix environnementaux faits par Danone. Si l’idée était retenue par un nombre suffisant d’entreprises, elle pourrait avoir un impact majeur sur la lutte contre les changements climatiques. Pour mieux comprendre les dessous de l’histoire, il faut lire l’intéressante chronique de Francis Vailles du 3 avril dans la Presse+1.

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Cette saga chez Danone met en évidence le fait que la course aux profits a un prix dont on aurait intérêt à tenir compte jusque dans l’évaluation de la « rentabilité » d’une entreprise aussi bien pour la société et la planète que pour ses actionnaires. Hélas, même si « l’investissement responsable » gagne du terrain, il y a encore beaucoup à faire pour que son impact soit tangible socialement et écologiquement.

Si je me suis attardé sur ce fait divers c’est qu’il me semble être la parfaite illustration des effets pervers du capitalisme pur et dur. Il n’est pas facile d’influencer les investisseurs qui ne sont pas prêts à voir les entreprises inclure dans leurs dépenses une taxe carbone qui réduirait d’autant leurs bénéfices si chers aux actionnaires. On peut le comprendre. Lorsque, par exemple, les revenus des régimes de retraite en dépendent, comment convaincre d’accepter une baisse de rendement sous prétexte de conscience sociale. Ce qui amène Francis Vailles à conclure que le premier mandat des entreprises est de générer des profits et non de poursuivre des objectifs sociétaux, responsabilité qui serait d’abord celle de l’état.

Cette conclusion me laisse perplexe. Au vu des résultats jusqu’ici obtenus par les états en matière de réduction des gaz à effet de serre, il y a lieu de s’inquiéter. Sans doute l’approche d’Emmanuel Faber était-elle trop audacieuse. Toutefois, ce qui lui aura valu une fin de non-recevoir des investisseurs n’est pas tant son côté avant-gardiste que la baisse de rendement de Danone en 2020, bien sûr attribuée à tort ou à raison à l’approche ESG. Terence Corcoran2, dans un article du Financial Post fait écho à cette méfiance à l’endroit de l’approche ESG pour les entreprises et dit s’attendre à une levée de boucliers pour la contrer.

Il se trouve pourtant des économistes pour défendre l’idée d’une responsabilisation ESG dont Mark Carney3, ex-gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre. Il se trouve toutefois d’autres économistes pour s’y opposer dont Philip Cross4 qui tient un discours diamétralement opposé à celui de Carney. Leurs divergences de points de vue sont à l’image de celles qui opposent les idéologies de gauche et celles de droite. On se tient mutuellement responsables des dérives réelles ou appréhendées de l’économie mondiale et de ses répercussions sur les plans de l’environnement, du vivre en société et des abus en matière de gouvernance des grandes sociétés. On ne s’en sort pas.

Alors quoi ? Je ne sais pas. Ce que je constate c’est que le statu quo n’est pas une solution. Il faut s’ouvrir aux idées nouvelles. On devrait prendre occasion des bouleversements causés par la pandémie pour jeter un regard neuf, plus curieux, plus conciliant sur notre humaine cohabitation. Le dossier me dépasse sans doute, mais je persiste à croire qu’on pourrait faire mieux.

 

Francis Vailles : Faire du « cash », pas du capitalisme social. La Presse+, 3 avril 2021.
2 Terence Corcoran : Tear down the ESG statues. Financial Post, 31 mars 2021
3 Mark Carney : Value(s) – Building a better world for all. Signal-Penguin Random House Canada, mars 2021.
Voir Miville Tremblay : Les valeurs de Mark Carney. La Presse+, 5 avril 2021
4 Philip Cross : Mark Carney’s mistaken value(s). Financial Post, 23 avril 2021

Michel Carbonneau
27 avril 2021

Lire la chronique précédente : Le goût de la langue

 

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