Le Val-Ouest

Les enfants et moi – Deux vies

J’avais été malade comme un chien. Une très intense et purgative gastro subie en pleine canicule dans mon nouvel appart perdu au fin fond de la banlieue anonyme de Longueuil. Un deux et demi humide, déniché en catastrophe lorsque ma sœur était partie vivre avec son nouveau chum. Je l’avais décoré d’un poster de Madonna (dont je n’étais même pas fan), de laminés quétaines de plages et de piscines. Je m’inventais un chez nous où jamais personne ne venait.

Des gastros, j’en attrapais deux ou trois par année à mes débuts en garderie, le temps que mon système se fasse à ce bombardement de microbes. Celle-là avait été solide. J’avais perdu des forces. Je m’en étais sorti en appelant dans un genre de 811 en pleine nuit à 33 degrés. J’avais finalement survécu. Je me souviens que ma mère avait trouvé ça dur quand elle l’avait su. Elle s’inquiétait pour moi, mais je me débrouillais. Chacun avait ses affaires à vivre. Je faisais ma vie tant bien que mal.

En fait, j’avais deux vies : celle des soirs et des fins de semaine et celle des jours de semaine.

Celle des soirs et des fins de semaine était vide et glauque, comme mon demi-sous-sol. Dès que je sortais de la garderie, je me retrouvais seul et paumé. Mes amis du secondaire étudiaient ailleurs, ma sœur vivait avec son nouveau chum, je passais mon temps à je ne me souviens plus trop quoi. J’écrivais un peu. J’écoutais Pierre Pascau à CKAC. La nuit, quand ça ne dormait pas, j’écoutais Roger Drolet à CKVL, une pathétique ligne ouverte pour les esseulés qui n’ont pas de vie… Ça me consolait probablement. Les fins de semaine n’étaient pas plus glorieuses. Je sortais parfois dans les grosses discothèques de Brossard ou de Montréal-Nord avec l’ex-chum de ma sœur. On se plantait à côté de la piste de danse, l’air de vouloir avoir l’air au-dessus de nos affaires. Je faisais des mini « moves ». Pour me rendre intéressant, j’essayais parfois de parler aux filles de mon métier d’éducateur en garderie… Ça ne pognait pas fort fort à Brossard pis à Montréal-Nord.

Ma vie des jours de semaine avec les enfants de la garderie me sauvait. Les journées passaient vite. J’avais du plaisir, c’était rempli d’humour et d’amour. Et j’apprenais. J’étais nourri. Je découvrais un métier qui demande toutes sortes d’habiletés : de la créativité, de l’organisation, de la communication, un jugement sensible et dosé, du leadership. Ça demandait une intelligence autant rationnelle qu’émotionnelle. Un métier riche et complexe.

Un métier de responsabilités où des parents nous confient ce qu’ils ont de plus cher, de plus précieux : leurs enfants. Un métier qui a un impact sur leur avenir, sur la suite du monde. Un métier important. Un métier pratiqué par des femmes; le moins reconnu de tous les métiers les plus importants.
Je le pratiquais avec le plus grand bonheur, je faisais corps (une façon de parler) avec toutes ces femmes sensibles et intelligentes. Ce que m’a donné ce travail, son humanité, malgré le cliché, fut ma vraie paye. La plus précieuse des payes. Je ne me suis jamais plaint, mais, souvent, je ris en coin en voyant à la télé, ou dans la vie, tous ces bonhommes à poches pleines qui se pensent si indispensables.

***

Au cours des mois suivants, trop malheureux dans cet appart, mon autre sœur, la plus vieille, me prenait chez elle. (Mes sœurs, aussi, ont participé à mon « sauvetage ».) Au printemps 88, par une nuit d’épiphanie, désireux de me construire une vie, une seule, je décidais de retourner aux études en enseignement au préscolaire et au primaire, directement à l’université, sans compléter mon diplôme d’études collégiales, sur les bases de mon expérience. Après maintes péripéties, je fus admis à l’Université de Sherbrooke en août de la même année. J’arrivais en Estrie.

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