Le Val-Ouest

Les enfants et moi – Lettre à mes histoires

Salut mes histoires!

Je vous écris ce matin. Je suis un peu nerveux, je ne sais pas trop par où commencer. J’ai pensé vous parler de la météo pour partir ça doucement, vous dire que l’hiver est neigeux cette année, mais comme histoires, j’imagine que ça ne vous intéresse pas vraiment. Je suis nerveux comme un père qui a une chose importante à dire à ses enfants, mais qui n’est pas habitué de parler. Vous êtes un peu mes enfants, c’est vrai. Je vous ai créées. J’étais jeune quand j’ai commencé à vous raconter. Mon imagination était fertile. Je me servais aussi des histoires de mon enfance racontées par ma mère ou mes oncles; je vous sortais de moi, façonnées autrement. On est combien dans la famille, mes histoires? Quinze? Vingt? Trente? Plus? Je vous avoue, j’en ai oublié plein. Il y a celles que je n’ai pas assez souvent racontées, que j’ai abandonnées, qui n’ont pas survécu à la mémoire, à la mienne en tout cas. Et il y’a celles d’un seul coup, improvisées, pour accrocher les enfants, les faire apprendre ou les faire attendre; plusieurs sortaient mal formées, un bras dans le front comme on dit, d’autres en petite perle que je laissais filer. Où sont-elles? Suspendues dans le néant. Je m’excuse mes histoires. C’est pour elles aussi, vos petites sœurs perdues, que je vous écris. Je ne sais pas trop comment vous dire ce que j’ai à vous dire. Je pourrais vous raconter une histoire. Qu’en dites-vous?

Une histoire pour mes histoires.

Disons un lapin. L’histoire d’un papa lapin. Ça vous convient? Je ne veux pas vous infantiliser, vous avez beau être destinées aux enfants, comme toutes histoires, vous n’avez rien d’innocent. Y’a pas plus lucide qu’une histoire. Vous saisissez tous les degrés, avez accès au sous-texte, aux intentions. Vous portez le sens dans votre chair même. Un lapin, un dieu ou un homme, peu importe, c’est le fond de l’histoire qui compte, vous êtes bien placées pour comprendre ça.

Ce sera donc l’histoire d’un papa lapin.

Chaque matin, le papa lapin réveillait ses lapereaux dans leur terrier. Il en avait combien? Une belle portée. Une fois réveillée, la joyeuse bande gambadait dans les prés toute la journée. Ça bondissait. Ça folâtrait. Ça grignotait. Tous les habitants de la campagne s’amusaient, s’émerveillaient en observant vivre ces petites boules de poil aux longues oreilles. Mais ce qu’il y a de particulier dans cette histoire, mes chères histoires, c’est que si le papa lapin ne réveillait pas ses lapereaux le matin, ces derniers continuaient de dormir sans profiter de la journée, sans divertir qui que ce soit. Sans leur papa pour les réveiller, les lapereaux resteraient endormis pour l’éternité. Vous voyez peut-être déjà où je veux en venir. Je continue quand même. Un jour le papa rassembla ses lapereaux pour leur annoncer qu’il partait du terrier. Eh oui! Il était fatigué. Il changeait de vie. Il ne serait plus là pour les réveiller le matin. Les lapereaux ont vite compris que c’était fini pour eux. Qu’ils resteraient endormis et oubliés pour toujours. Pendant la nuit, le papa est parti. Au matin, les lapereaux ne se sont pas réveillés. Fin de l’histoire!

Je ne vous raconterai plus jamais mes chères histoires, c’est ce que je voulais vous dire. Un jour même, peut-être, moi-même votre créateur, je vous oublierai. Je sais, vous n’aimez pas la fin de mon histoire de lapin. Vous aimeriez que les habitants de la campagne, un prince marmotte, une reine renarde, un canard travesti -n’importe qui -, ne voyant plus bondir les lapereaux depuis des jours, s’aventureraient dans le terrier pour les bécoter; les lapereaux renaîtraient et pourraient vivre ainsi de génération en génération. Rendu là, vous pouvez, mes histoires, vous inventer votre propre fin.

En terminant, je veux vous dire que je vous aime, vous êtes de moi, je sais que vous avez captivé des centaines et des centaines d’enfants au fil des ans. Vous êtes restées humbles, confidentielles, cachées entre les quatre murs d’un local ou d’une classe, sans gloire, sous la seule lumière du chapeau de conteur -imaginaire- dont je me coiffais lorsque je m’apprêtais à vous raconter. J’aime ça ainsi. Mais il fallait que je vous parle une dernière fois pour vous dire au revoir. Vous dire merci. On se reverra peut-être, je vous entendrai peut-être un jour, ici-bas, ou au-delà.

Salut l’histoire de la petite goutte d’eau qui ne voulait pas faire la pluie!
Salut l’histoire du petit grain de sable qui vivait dans un grand univers vide!
Salut l’histoire du raisin vert qui voulait devenir un raisin rouge!
Salut l’histoire de Claude et des petites bottes magiques!
Salut l’histoire du cheval qui galopait dans la prairie et qui chantait des chansons bizarres!
Salut l’histoire du bourgeon qui devient une feuille!
Salut la légende d’Augustin!
Salut la fois où j’ai trouvé un OVNI dans un arbre!
Salut la fois où je suis resté embarré sur mon balcon!
Salut la fois où j’ai chaviré en plein milieu du fleuve!
Salut la fois où mes sœurs se sont perdues dans la ville!
Salut l’histoire de Poulain Pinchard!
Salut toutes les autres que j’ai oubliées!
Salut mes histoires!

Lire la chronique précédente :

Visiter le site de Nicolas Proulx :

 

 

 

 

 

Un avis au sujet de « Les enfants et moi – Lettre à mes histoires »

  1. Oh Nicolas « Les paroles s’envolent et les écrits restent » pourquoi ne pas écrire ces petites histoires? Pourquoi ne pas aider tous ces enfants devenus parents,… à se rappeler et reconnecter avec tous ces personnages qui ont enjolivé leur enfance… et marquer…? Pourquoi ne pas les rejoindre dans leur ♥️ qui a sûrement oublié toute l’histoire… mais retrouvé son ressenti de ce monde merveilleux de l’imaginaire? Pourquoi … pourquoi ne pas leur rappeler afin qu’ils puissent retransmettre… et aider tous ses petits lapins à créer et raconter?

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