Le Val-Ouest

Les enfants et moi – La conscience de l’écrit

Un arbre à ma fenêtre, un érable. Il me regarde. Bien que silencieux, il m’interrompt à tout bout de champ. Je tourne la tête. Il est là. Il me nargue cet arbre!

Vas-y, entre… entre dans l’écriture!

J’ai trop de choses à dire. Par quel bout prendre ça? Quel chemin prendre? Trop d’éléments, trop de nuances dans les couleurs, trop d’embranchements. C’est comme ce maudit érable-là qui perd une feuille de temps en temps.

Attrapes-en une!

***

Si novembre est le mois des morts, octobre est le mois des mots. Dans la classe de maternelle, en octobre, on commence à prendre conscience de l’écrit. Au début, il y a le mot, cette sorte de train à deux dimensions plus ou moins long, fait de petits dessins bizarres alignés plus ou moins nombreux. On s’apercevait qu’il y en avait partout. Dans le village, dans le corridor, sur les murs de la classe, partout, plein dans les livres, sur les vêtements. Partout des mots. On en pointait, on en débusquait, on en prenait dans nos mains, on en cachait pour se faire des chasses aux mots. On les comparait les uns aux autres. On les plaçait en ordre de grandeur, on en collait partout. Le mot devenait une chose qui existe. Un objet concret.

Ah… c’est ça un mot!

***

J’ai cette petite feuille d’érable dans la main. Détachée de son arbre, je n’arrive pas à lui donner du sens. Seule, elle ne bat plus. Elle ne vivait que rattachée à sa branche, parmi les autres, au cœur d’un feuillage, connectée à la terre, déterminée par les saisons. Séparée de son arbre, elle est sourde à ses origines. Elle ne peut parler que par la poésie.

***

Je n’étais pas conscient que ce mot -cet ontologique mot- dont on sentait la piqûre sur les doigts, dont on percevait l’ombre sur le mur, ce mot était rattaché à tout. On tenait aux creux de notre paume l’essence même de notre humanité : la conscience et le langage. Nous étions aux origines, touchions concrètement, matériellement, pour la première et la dernière fois, à ce qui allait se perdre pour toujours dans l’incommunicabilité.

Je n’étais pas conscient de ces élucubrations. Elles ne m’intéressaient pas. Je travaillais. Je savais que du mot, on allait passer aux lettres et leur bruit, aux espaces entres les mots, aux signes (points, traits, virgules, apostrophes, etc.), à la phrase (cette ligne), son sens (de gauche vers la droite), au texte (ce rectangle). C’était le début d’une préparation vers la lecture et l’écriture, d’un passage vers la compréhension et la création de sens. Nous avancions par le jeu, les images, le plaisir, les défis. Et les répétitions. Mille choses interreliées et inextricables.

Comme un arbre.

***

Un souffle fait frémir les feuilles dans mon érable. Il fait un peu moins le brave. Il m’accompagne.

Je peine à transformer ce que je suis en train de faire en un simple travail. Je m’étourdis dans une sorte d’ivresse mentale et juvénile, une audace que je n’assume pas complètement. Je patauge. Je me sens observé. Pire : je m’observe moi-même. Ça tourne. Ça traine.

Les enfants ne sont plus là pour faire le ménage.

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