Le Val-Ouest

Les enfants et moi – Parc Patenaude

Octobre vient d’embarquer. Le feu est pris dans les arbres. Chez nous, à Racine, on est aux premières loges. J’enfourche mon vélo, cinq minutes plus tard, au parc Patenaude, le paysage s’embrase juste pour moi qui l’embrasse. Pas besoin de faire la file avec les bien habillés, les contents d’être là. Ma vieille froc, une gorgée de café, un coup de pédale et la Montérégie rougeoyante, là-bas, réchauffe mon cœur de jeune retraité.

Le bonheur, le beau et le vrai sont dans les choses simples. Dans l’ordinaire et le sans apparat. C’est une valeur que m’ont inculquée mes parents. Ma mère pouvait relever la beauté dans un simple pré au détour d’une route, une scène banale dans un film.

C’est vrai, c’est magnifique, lui disait-on.

Non, c’est ordinaire, répondait-elle.

Enfant, j’ai été imprégné par cette façon de voir la vie. C’est en moi.

Pourtant, avec le temps, constatant comment le monde est mené, conscient de l’histoire de mon peuple, j’ai pu comprendre que cette valeur avait quelque chose de suspect.

Croire au petit, à l’ordinaire, avait sûrement été conditionné par cette culture catholique omniprésente pendant une grande partie du siècle dernier. À travers tous ses bienfaits, cette religion encourageait aussi une certaine servilité, une obéissance qui pouvait étouffer les idées de grandeur.

Les conditions économiques difficiles des grandes familles rurales et de celles, ouvrières, souvent exploitées, pouvaient aussi expliquer ce goût pour les modestes choses. Se penser riche des beautés simples de la vie est utile quand on n’a pas beaucoup d’argent, moins que d’autres qui ont eu l’opportunisme (ou le guts) d’en faire.

Il y a le « think big » et le « né pour un petit pain ». Lequel est le meilleur?

Malgré ce penchant un peu cynique à propos de mes propres valeurs, je les accueille à bras ouverts, comme le grand paysage en haut, au parc Patenaude. Mes valeurs sont peut-être issues de manques ou d’abus ancestraux, mais je prends en moi cette conscience pour les confirmer, parce que la beauté peut se cacher, aussi, dans les failles.

***

Je descends la côte. Je laisse derrière moi le parc Patenaude. Je reviens sur terre.

Lâche la sociologie, reviens à tes affaires d’enfants!

Je laisse filer. Mon écriture est comme l’eau qui trouve son chemin dans les petites rigoles que font les enfants le printemps. Des petites failles. Je m’arrête souvent, les doigts levés au-dessus du clavier. J’attends, immobile, comme un animal alerté qui tourne subitement la tête. Je cherche. Je cherche la source. J’écoute.
Octobre vient d’embarquer. Il a pris avec lui le beau temps que septembre avait échappé quelques jours. J’entends à nouveau les enfants par ma fenêtre ouverte. Ils piaillent, encore, comme des oiseaux.

***

En juin 1999, dans les hauteurs de la route 243 entre Racine et Valcourt, j’ai planté des arbres au parc Patenaude avec les enfants de ma classe. Je venais de passer les deux premières années – et les plus belles- de ma carrière de prof de maternelle à Racine que je devais quitter à regret à la fin de juin. La vie (qui coule) m’y a ramené, avec bonheur, les deux dernières années avant ma retraite. Quand je quitte le parc Patenaude sur mon vélo, je jette toujours un coup d’œil à ces arbres devenus grands et matures.

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