Le Val-Ouest

Les enfants et moi – L’arrivée en Estrie

En partant de Longueuil, j’étais comme un petit veau abandonné, chambranlant sur ses quatre pattes, un petit veau qui se cherchait une vie bien à lui. Sherbrooke s’est présentée comme une belle grosse vache nourricière prête à m’adopter. Viens mon beau, viens téter à mes trayons, viens te refaire une santé. Je me suis lové dans ses côtes, je me suis senti bien tout de suite, je trouvais un chez-moi.
Ma mère Sherbrooke m’a mis sur sa carte, je me suis senti redevenir un être social, un citoyen, un jeune adulte normal. Et puis j’avais un but, un but ancré: obtenir un diplôme, ce maudit papier, pour pouvoir bien gagner ma vie auprès des enfants.

Mon entrée à l’université s’est faite par les résidences étudiantes. Je suis arrivé un soir avec mes boîtes dans ma petite chambre, j’avais transporté mes livres dans une caisse de bière, une caisse d’Okeefe, je m’en souviens. Mon cochambreur y a vu un signe que j’étais un gars de party. J’en étais un. Finie la vie de jeune travailleur caché dans son trou à vomir sa solitude, à se consoler avec des lignes ouvertes de loosers. Je voulais retrouver le plaisir d’être avec des gens de mon âge, je voulais me refaire un monde, appartenir.

Le soir même, je me saoulais la gueule joyeusement avec l’un et l’autre, scellant déjà des pactes d’amitiés « solides » dans ce bar universitaire dont j’allais devenir une sorte de pilier tant grande était ma soif de relations. Il faut dire aussi que mon programme universitaire me décevait souverainement, qu’il ne me nourrissait en rien (à part les stages); j’étais surpris de me retrouver avec autant de temps libre que je comblais en sortant « tous les soirs dans les bars ».

Ma « réinsertion sociale » était donc intense et quelque peu chaotique. Ma ligne de progression affective avait été brisée çà et là dans les dernières années. Côté « quotidien », ça allait, j’étais pas mal autonome, mais côté « cœur » je me garrochais partout. Dès les premiers mois, je me suis retrouvé en couple avec une pulpeuse fille de ma promotion. C’était trop pour moi, trop intense comme émotion. Je tombais amoureux comme dans un gouffre. Ça ne marchait pas, j’étais trop insécure. Je sabotais donc les relations avant même qu’elles puissent s’installer. Ou bien je courrais après des filles inaccessibles (la splendide serveuse du Bahut, la mystérieuse danseuse des Graff, etc.). Je jouais le gentil et le sensible, un rôle qui ne m’apportait pas grand-chose, mais me gardait sur la piste à imaginer qu’un jour elles se retourneraient et viendraient vers moi. Quelques fois, ça se passait et ça me bouleversait. Je me sauvais. Je décevais. Je me repliais alors dans de saines et solidaires beuveries avec des amis qui, peu à peu, dans une sorte de sélection naturelle d’affinités, et dans des circonstances plus « sages », allaient former un cercle d’amitiés authentiques. Une famille.

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Deux frères. Mathieu et Martin. Mathieu le grand frère, Martin le benjamin. Deux tannants. Deux p’tits rockers.

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Mon bac m’ennuyait à mourir, j’avais besoin d’argent, surtout de me grounder. Ma nouvelle vie à Sherbrooke était cool, mais le p’tit veau chambranlait encore. J’avais donc répondu à l’annonce dans le journal.

On offrait deux postes en garderie: un temps plein, un temps partiel. À l’entrevue, qui s’était drôlement bien passée, j’avais dit que je visais le temps partiel. Ginette, la directrice, m’avait alors demandé si je pouvais faire un remplacement dès le lendemain. Je me suis dit qu’elle voulait en savoir plus sur mes compétences.

***

Le tout premier contact que j’ai eu dans le groupe des Castors de la garderie l’Arche de Noé ce matin-là est celui de ces deux petits bums, l’un à côté de l’autre, me regardant de leur petite face grimaçante et me faisant un fier, droit et solidaire doigt d’honneur. Bienvenue mon chum!

Je retombais dans mon aquarium. Je ne souviens pas vraiment de ma réaction, mais je sais que je les ai aimés instantanément, que je n’ai pas été surpris, choqué. Je souriais intérieurement. Je ne sais pas ce que j’ai dit. Ginette était là. Je me souviens d’avoir passé une belle journée avec les Castors. J’avais raconté l’histoire de la petite goutte d’eau qui ne voulait pas faire la pluie. On l’avait mimée. Je me souviens qu’à la fin de la journée, Ginette me proposait le temps plein.

***

J’avais envie, moi aussi, de brandir le doigt, de faire un beau fuck you à ma formation. J’étais en retard dans mes travaux. Je trouvais ça plate. J’étais fortement tenté de retourner travailler à temps plein. Décrocher, encore. J’avais appelé mon père, on était allés souper. Il m’avait conseillé doucement de prendre le poste à temps partiel et de finir ma session. De voir ensuite. C’est ce que j’avais fait. Je me suis accroché. J’ai fini mes travaux. J’ai pris le poste à temps partiel. J’ai retrouvé les enfants.
J’ai continué.

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