Nous revenions tout juste de notre escapade sur la Côte Nord, ragaillardis, prêts à laisser partir l’été. Le passage de la tempête Debby a vite fait de mettre à l’épreuve notre vitalité retrouvée. Panne de courant sur le 9e rang. Trois jours sans électricité, en plein mois d’août. D’accord, mieux vaut une panne d’été qu’une panne d’hiver, mais tout de même, c’est long trois jours sans eau, ni froide ni chaude, sans cuisinière – je parle ici d’électroménager (!) – et sans éclairage. La misère, quoi. Réjean, le fidèle, le généreux, a fourni l’eau.
Pas la potable, l’autre, aussi indispensable à sa manière. J’allais pouvoir enfin mettre à l’épreuve, pour la première fois, cette petite génératrice achetée quelques années plus tôt. Raccordée au frigo et au congélateur, elle a assuré le sauvetage des denrées périssables. C’est déjà bien, mais si elle avait pu donner du 240 volts, j’aurais réussi à activer la pompe à eau. Il m’aurait fallu y penser avant…
Perturbations climatiques aidant, cette expérience m’a soudainement rendu plus sympathiques les survivalistes de ce monde. Peut-être pas tous. Je garde une petite réserve à l’endroit de ceux qui, anticipant le pire, s’équipent d’AK-47 pour assurer leur autodéfense et sécuriser leur réserve de papier de toilette, article, c’est bien connu, qui suscite la convoitise en période de catastrophe.
Mode passagère, activité sportive comme une autre ou débrouillardise vitale à développer en raison des menaces tant naturelles que provoquées qui planent sur nos têtes ? Le survivalisme connait un essor indéniable au point de donner lieu à des salons annuels comme on en tient pour mousser la vente des autos. On y exploite tantôt l’esprit sportif qui anime plus d’un adepte, tantôt sa débrouillardise, tantôt son inquiétude devant l’état du monde ou encore tout bêtement ses peurs.
Il y en a pour tous les goûts, tous les fantasmes, toutes les peurs. On est peut-être loin du climat d’anxiété qui prévalait au moment de la guerre froide des années cinquante jusqu’à la fin des années quatre-vingt alors que planait la menace nucléaire. Une sourde inquiétude n’en est pas moins omniprésente devant le risque de voir les principaux combats en cours dégénérer en un nouveau conflit mondial. Pour se consoler, un ami suisse aime rappeler comment les abris nucléaires d’alors, répandus en son pays, font d’excellentes caves à vin. À quelque chose, malheur est bon!
Entre le côté sensationnaliste de cataclysmes dépeints par certains films américains, le large éventail des approches sophistiquées de survivalistes et les exploits technologiques des explorateurs qui voudraient bien développer des colonies lunaires, martiennes et pourquoi pas extragalactiques, il doit bien y avoir un juste milieu qui me convienne. J’ai d’abord écarté l’abri nucléaire. Trop complexe, et trop coûteux. M’armer pour éloigner les intrus qui voudraient profiter de mes réserves en eau ou en nourriture ou encore de la sécurité de mon environnement ?
Je n’ai pas l’âme guerrière et ne vois pas bien comment je pourrais tirer sur des personnes en détresse cherchant abri et protection. L’idée d’une cache à la campagne me plait davantage, mais le réchauffement climatique sévissant, les régions éloignées sont de moins en moins à l’abri des catastrophes naturelles qui se font plus nombreuses, plus violentes et plus diversifiées. Et ce n’est pas ma petite génératrice qui me tirera d’affaire en cas de pannes prolongées. Privé de chauffage par grand froid, je ne pourrais pas tenir le fort bien longtemps. De toute manière, si nos dirigeants sont assez obtus et dénaturés pour recourir aux armes nucléaires, j’aime autant lever l’ancre ou au mieux prendre un aller simple pour Mars.
Quels choix me reste-t-il ? Le sac de survie qui permette de tenir 72 heures à condition qu’il me suive dans tous mes déplacements comme le préconisent certains survivalistes urbains ? Je n’en vois pas vraiment l’intérêt et encore moins la nécessité. Prévoir des réserves en eau et en nourriture pour lesdites 72 heures et sauver les médicaments, je veux bien. Cela pourrait alléger quelque peu le travail des secouristes et premiers intervenants en situation d’urgence.
L’imprévisibilité est inhérente à notre nature même. Dans le documentaire de Radio-Canada Prévoir l’imprévisible, Normand Mousseau se fait rassurant en disant en substance que l’apparition et la survie sur terre de l’homo sapiens étaient imprévisibles. Il est raisonnable de penser qu’il pourrait en être de même de sa possible disparition.
Ne serait-ce qu’en vertu du principe de précaution, je remplirai un deuxième sac de survie. J’y glisserai une collection de couchers de soleil, un voilier de bernaches, un lac tout lisse, tout bleu, et quelques outils de bricolage pour ne pas perdre la main. Je laisserai à ma douce le soin d’apporter livres, tablette et cahiers de sudoku, sans oublier les casseroles et le vin, pour durer !
Les petites et grandes misères des citoyens privilégiés que nous sommes me paraissent soudainement toutes relatives.