«Aujourd’hui, nous vivons un moment historique», a déclaré avec émotion, le ministre de l’Environnement Bernard Drainville lors de l’événement annonçant officiellement l’agrandissement du parc national du Mont-Orford.
La superficie du parc est ainsi presque doublée. Passant de 59,5 km2 à 108 km2. Le tout se fera en modifiant deux règlements au cours des prochaines semaines : le Règlement sur les parcs et le Règlement sur le parc national du Mont-Orford.
«Le symbole d’une grande mobilisation citoyenne»
«Il y a 20 ans, j’ai connu toute cette effervescence autour du parc du Mont-Orford à titre d’animateur à Radio-Canada. De faire cette annonce-là aujourd’hui, ça me rend un petit peu émotif. Parce que j’en mesure très bien l’importance. Pas seulement l’importance de donner accès à la nature aux Québécois. Mais aussi parce qu’il y a une symbolique très forte rattachée au projet d’agrandir le parc du Mont-Orford. C’est une journée de fierté», a déclaré Bernard Drainville.

Le ministre a d’ailleurs tenu à souligner que l’aboutissement de ce projet est lié à la ténacité et aux efforts de citoyennes, de citoyens et d’élu.e.s.
«Le mont Orford, c’est le symbole d’une grande mobilisation citoyenne. Aujourd’hui, nous venons sceller la victoire des citoyens qui l’ont protégé et qui ont voulu le léguer aux générations à venir. Nous célébrons l’aboutissement d’un combat collectif qui a été porté par des voix fortes et inspirantes. Vous avez été très assidus et constants. Vous n’avez jamais lâché. Merci pour tout le travail que vous avez fait.»

Un terrain du lac La Rouche toujours exclu de l’agrandissement
Au fil des ans, Québec a investi 39 M$ pour acquérir tous les terrains qui font partie de cet agrandissement. Les dernières acquisitions se sont finalisées en juin dernier.
Seule exception : un domaine privé autour du lac La Rouche, qui appartient à Placements Bombardier, propriété de membres de la famille Bombardier. Lors des négociations, les propriétaires ont plaidé la nécessité de conserver les lieux. Entre autres pour permettre à la multinationale Bombardier Produits Récréatifs (BRP) d’avoir accès au lac pour tester leurs produits. «Mais si un jour le lac est à vendre, ils vont d’abord l’offrir au gouvernement du Québec», a fait savoir le ministre.

Impacts économiques importants à Racine et Saint-Denis-de-Brompton
Cette annonce devrait avoir des impacts économiques importants sur la région du Val-Saint-François, particulièrement pour Racine, qui voit ainsi près d’un tiers de son territoire devenir un parc national. Ainsi que Saint-Denis-de-Brompton, où le secteur du lac Montjoie est inclus dans l’agrandissement.
La ministre responsable du Sport, du Loisir et du Plein air et responsable de la région de l’Estrie, Isabelle Charest, a mentionné qu’on a calculé qu’une visite dans un parc de la SEPAQ génère, en moyenne, 66 $ dans les commerces des environs.

Ce qui réjouit le conseiller Michel Bergeron, qui représentait la municipalité de Racine lors de cette annonce, compte tenu des élections municipales en cours.
«Nos négociations avec la SEPAQ ont permis que l’entrée nord du parc soit à Racine. Les indications routières à partir de l’autoroute 10 ou de l’autoroute 55 feront en sorte que les visiteurs vont nécessairement passer par le village. Pour nous, c’est un atout important pour notre municipalité qui consolidera son pôle agrotouristique. Nous devrons aussi offrir des services spécifiques pour cette nouvelle clientèle.»
Michel Bergeron était visiblement touché et heureux de l’aboutissement de ce grand projet.
«Nous avons beaucoup travaillé sur ce dossier. Et aujourd’hui, c’est une fierté pour la communauté de Racine de dire : nous faisons maintenant partie intégrante d’un parc national!»
Il a ajouté :
«Nous avons, au cœur de l’Estrie, un corridor naturel de plusieurs kilomètres qui n’avait pas été développé, sauf pour de l’exploitation forestière. La nature va reprendre ses droits et on va protéger des espèces en péril. Ce qui assurera la pérennité de ces milieux-là. Je trouve ça extraordinaire.»

Soupir de soulagement des élus
On se rappellera que l’été dernier, les élus du Val-Saint-François avaient demandé au gouvernement d’annoncer l’agrandissement cette année, alors qu’il y avait possibilité de peut-être repousser l’annonce à 2026.
Des élus, comme le maire de Racine, Mario Côté, s’étaient inquiétés des conséquences de ce report pour la sécurité des lieux. Ce qu’a aussi mentionné le nouveau maire du Canton d’Orford, Alain Brisson, en interpellant le ministre. Exprimant que, depuis quelques mois, c’était le «Far West» sur ce territoire, compte tenu du peu de surveillance.
Bernard Drainville a répondu que la présente annonce faisait en sorte que le territoire tombe officiellement sous l’autorité de la SEPAQ. Qui va s’assurer d’appliquer les règlements. «Ça devrait régler tous les enjeux que vous venez d’évoquer.»
Une réponse qui a plu au préfet de la MRC du Val-Saint-François et maire de Valcourt, Pierre Tétrault. «Cette surveillance va pouvoir calmer le jeu.»
20 M$ sur trois ans
L’agrandissement du parc comptera sur un investissement de 20 M$ sur trois ans de la part du gouvernement. Pour le moment, on ne parle plus des 125 M$, mentionnés lors des audiences du BAPE de 2023, pour développer le nouveau territoire en trois phases.
Ce soutien financier permettra de mettre en place de nouveaux sentiers ainsi que deux parois d’escalade. Dès l’été 2026, certains de ces espaces devraient être accessibles au public.
«Ce qu’on annonce aujourd’hui, c’est une première phase, une première étape. Mais effectivement, le projet complet inclut, par exemple un camping avec des unités d’hébergement. Cette partie-là ne fait pas partie de la première phase. Ça n’a pas été abandonné. On va continuer à travailler pour réaliser les phases subséquentes. Mais aujourd’hui, il faut avancer. On va donc commencer à aménager de nouveaux sentiers pédestres et des stationnements pour y donner accès», a indiqué le ministre Drainville.

Un appui au développement du vélo dans le Val
Pierre Tétrault s’est dit particulièrement intéressé par le développement des pistes cyclables dans le parc. Qui pourront éventuellement être interconnectées aux nouvelles pistes prévues dans le réseau de la MRC du Val-Saint-François. Des aménagements qui devraient se faire, selon le ministre Drainville, vers 2027 et 2028.
«Je suis hyper content. C’est une grande, grande nouvelle. Cet agrandissement va amener beaucoup de touristes dans le Val-Saint-François. Ça va permettre de développer des infrastructures touristiques, comme de l’hébergement et de la restauration», indique le préfet.
Soulignant au passage que le Val manque justement d’établissements d’hébergement.

Donner le goût aux gens de protéger la nature
Pour Bernard Drainville, une annonce comme celle-là permet aux gens de se rapprocher de la nature.
«Le pari que nous faisons, c’est que si nous donnons accès à la nature à la population, ça lui donnera le goût de se battre pour la préserver et la protéger.»
Ce nouveau territoire protégera justement 35 espèces en situation précaire. «Cet ajout permet au gouvernement de se rapprocher de son objectif de protéger 30 % du territoire québécois d’ici 2030. C’est un petit gain, parce que le territoire du Québec est tellement grand», reconnait le ministre.

À l’origine : un projet de condos dans un parc national
Rappelons que cette annonce est l’aboutissement d’une longue saga qui tire son origine en 1998, avec la faillite du gestionnaire de la station de ski (Gestion Orford inc.). Le gouvernement devait alors rembourser 6 M$ à la Banque nationale.
Deux ans plus tard, en 2000, le gouvernement du Québec conclut une entente avec Intermont (qui deviendra plus tard Mont-Orford inc.) pour louer la station de ski et le golf. Le bail prévoit que le locataire doit faire des investissements majeurs.
En 2002, Intermont présente au gouvernement un plan de développement pour relancer le centre de ski alpin et le terrain de golf. Qui prévoit la construction de 1400 condos sur 132 hectares du parc. Ainsi que la construction d’un deuxième terrain de golf de 18 trous et d’un restaurant au sommet du mont.
Pour réaliser son projet, Intermont propose au gouvernement d’échanger des terrains contre ceux qui seraient exclus du parc national.
À la suite d’une audience publique, les 6 et 7 décembre 2002, la Société de la faune et des parcs du Québec émet une série de conditions contraignantes à Intermont, pour répondre aux préoccupations du public.
En février 2004, Mont-Orford inc. dépose un plan révisé. Ce nouveau plan propose la construction de 1000 condos plutôt que 1400. Tout en continuant de proposer l’échange de terrains. Ce qui est accepté par le gouvernement par une entente signée le 14 juillet 2004.
2004-2005 : le BAPE enquête
En novembre 2004, le ministre de l’Environnement, Thomas Mulcair, mandate le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) pour enquêter et tenir une audience publique sur les avantages et inconvénients de cet échange de terrains pour la biodiversité et l’intégrité écologique du parc.
Lors de l’audience, environ 75 % des mémoires déposés s’opposent ou expriment des préoccupations quant à ce type de développement immobilier.
Dans son rapport publié en 2005, le BAPE rejette le projet. «La commission conclut que, sous divers aspects, l’échange de terrains et la construction d’unités d’hébergement qui y est associée porteraient atteinte à l’intégrité écologique du parc national du Mont-Orford», peut-on lire dans le rapport.
2006 : soustraire une superficie du parc
Face à cette situation, Mont-Orford inc. menace de remettre la gestion de la station de ski et du golf au gouvernement et demande un remboursement de 20M $.
L’année suivante, en mars 2006, le gouvernement de Jean Charest propose de vendre le centre de ski et le golf par appel d’offre public. Et de soustraire ainsi une vaste superficie du parc national. Il souhaite aussi permettre la construction domiciliaire sur un maximum de 85 hectares au bas des pentes de ski. Tout en imposant un régime particulier de protection de la biodiversité et de l’environnement pour tout le domaine skiable, le terrain de golf et la zone d’habitation.
Cette proposition comprend aussi la possibilité de doubler la superficie du parc du Mont-Orford. En mai 2006, le gouvernement dépose un projet de loi pour permettre cet agrandissement.

Vaste mobilisation contre le projet du gouvernement Charest
C’est à ce moment que se forme une vaste mobilisation à l’encontre du développement immobilier dans le parc. Un mouvement porté, entre autres, par la coalition SOS Parc Orford.
Plusieurs figures publiques prennent alors la parole, donc la monologuiste, auteure et chanteuse estrienne Clémence DesRochers. Dont l’une des trois montagnes qui forment le mont Orford porte le nom de son père, le poète Alfred DesRochers.
Bernard Drainville a d’ailleurs indiqué que Clémence DesRochers avait été invitée à la conférence de presse, mais qu’elle n’avait pu y assister.
Manifestation à Montréal et pétition
Le 22 avril 2006, une manifestation de 12 000 personnes a lieu à Montréal. De même, on remet une pétition de 86 000 noms au gouvernement pour contester cette décision.
En juin 2006, Jean Charest impose le bâillon à l’Assemblée nationale pour adopter un projet de loi controversé qui privatise 579 hectares de terres publiques, dont 85 pourront être utilisés pour du développement immobilier. Tout en permettant l’agrandissement du parc.
2010 : le gouvernement se rétracte
Il faudra attendre 2010 pour que le gouvernement décide finalement de se rétracter et de déposer un projet de loi pour réintégrer 459 hectares au parc. La loi prévoit aussi de vendre par appel d’offres la station de ski et le terrain de golf.
2023 : BAPE sur l’agrandissement du parc
Le dossier d’agrandissement du parc a ainsi suivi son cours très lentement pendant plusieurs années.
En décembre 2022, le ministre de l’Environnement Benoit Charrette mandate le BAPE pour étudier le projet de modification des limites du parc visant son agrandissement. Les audiences ont lieu à l’hiver 2023 et le rapport est remis à l’été 2023.
«Ç’a été très long»
Presque deux décennies se sont donc écoulées depuis les débuts de cette saga. «Ç’a été très long», reconnait André Bachand, député de Richmond à l’Assemblée nationale. Dont le comté est touché par environ 90 % de l’agrandissement.
«Ça fait longtemps qu’on en parle. On a toujours suivi ça de très proche. Depuis que je suis député au provincial, ç’a été un des grandes dossiers. Nous sommes contents que ça se fasse. On avait hâte. C’est un levier économique majeur. Qui aura un impact dès l’été prochain sur l’attraction. Pour Racine et Saint-Denis-de-Brompton, c’est énorme. On parle d’un développement structurel, qui touche à la fois à l’économie et à l’écologie.»

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