L’automne aura été monopolisé par les interventions que ma compagne Edith et moi avons été appelés à faire sur la thématique de la proche aidance. Du début septembre au début novembre, nous aurons animé 7 projections du film Au-delà des mots, paroles de proches aidants1, participé, toujours sur le même thème, à un panel à Sherbrooke2, donné une conférence à Québec3 et assisté à la Journée nationale de concertation en proche aidance du ministère de la Santé et des Services sociaux. Ouf ! Chaque événement a été l’occasion de rencontres et d’échanges plus touchants, plus nourrissants les uns que les autres. À m’en faire oublier mes questionnements existentiels, comme si la vie se suffisait à elle-même, sans besoin d’un au-delà pour la justifier.
Nous avons croisé, côtoyé, écouté plein de gens indirectement touchés par la maladie. Propos de soignants, proches aidants, aidants de proches aidants, jamais nous ne nous sommes lassés d’entendre ces concerts de témoignages sentis et bouleversants, de recevoir ces bouquets d’expériences aux couleurs d’émotions, de savoirs et de vécu. Au fil des récits, nous avons réalisé la richesse de notre vivre ensemble. Nous évoluons dans une société humaniste où ont encore leur signification et leurs défenseurs, les valeurs de compassion, d’équité, et de considération pour la vie.
Lors de notre conférence, donnée dans le cadre d’une journée de perfectionnement des personnels en soin de santé, nous avons été frappés par la quasi-absence d’hommes dans le groupe qui comptait pourtant plus d’une cinquantaine de personnes. Si tant l’homme que la femme peuvent se retrouver dans une fonction d’accompagnement et d’offre de soins, les femmes s’y retrouvent nettement en plus grand nombre. Sans elles, les services aux personnes dans le besoin auraient une tout autre expression. Il me semble retrouver là une frappante ressemblance avec leurs responsabilités de mère de famille alors qu’elles y jouent le plus souvent le premier rôle dans l’encadrement, le développement et l’éducation des enfants. Mais c’est là une autre histoire. Il est des fonctions et des charges qui semblent mieux correspondre aux profils et intérêts des unes plutôt que des autres. Affaire de culture plus que de gènes ? Allez savoir !
Quelques statistiques compilées par l’Appui proches aidants1 méritent le détour. Au Québec, on comptait 2,4 millions de proches aidants en 2022. 55% d’entre eux étaient des femmes et 45% des hommes. Une partie de l’explication pourrait tenir au fait que jusqu’à 60 ans, les hommes sont plus nombreux en chiffres absolus alors qu’aux âges plus avancés, espérance de vie oblige, ce sont les femmes qui sont en plus grand nombre. Or, il s’agit de la période de la vie où, globalement, la santé se fait plus chancelante. De fait, 66% des aidés ont 65 ans et plus et représentent 23% des adultes. Autre donnée intéressante, 27 % des répondants étaient des jeunes ayant entre 15 et 29 ans et 30 % des adultes, ces deux sous-groupes représentant au total 35% de la population. C’est plus du tiers !
Une dernière observation mérite le détour. 35% des personnes concernées ne se reconnaissaient pas proches aidants. C’est un peu comme si on considérait naturel, pour ne pas dire allant de soi, d’aider ses proches. À noter aussi que les hommes qui sont proches aidants recourent moins aux services et ressources qui sont à leur disposition.
Très souvent, le besoin d’aide s’installe petit à petit si bien qu’il ne vient pas spontanément à l’esprit d’estimer qu’à un moment précis de son histoire on ait soudainement acquis le statut de proche aidant. De plus, pour un certain nombre de personnes, notamment chez les plus âgées, une telle responsabilité donne un nouveau sens à leur vie en y ajoutant en quelque manière une nouvelle raison de vivre. Et aider nous ferait le plus souvent sentir meilleur, voire plus humain.
Il y a plus de dix ans maintenant que Nicole est décédée. Je l’aurai accompagnée pendant quatorze ans dans son long et sinueux parcours vers la mort. Je dis vers la mort faute de pouvoir dire plus. Je questionne maladroitement ce qu’à défaut de mieux je nomme l’absurdité de la finitude de la vie. Si le passage du temps travaille toujours à me convaincre que ce long épisode d’accompagnement et de proche aidance est derrière, le récit de tous ceux qui de près ou de loin en font à leur tour l’expérience me replonge dans cette enquiquinante interrogation. Et plus je me rapproche de ma date de péremption, plus elle m’enquiquine. Je sens bien que je ne vivrai pas assez vieux pour trouver une réponse qui me satisfasse ou me rassure. Tant pis, je m’en passerai … et continuerai de vivre le temps qu’il faudra !
2 Fondation Brigitte Perreault du CHUS
3 Centre d’excellence sur le vieillissement de Québec
Lire la chronique précédente :
2 avis au sujet de « Après le temps des foins, le temps des soins ! »
Quelle belle réflexion! Merci Michel.
Tellement belle et sage réflexion profonde…elle m’interpelle,,, Merci! Toujours un réel plaisir et une douceur de vous lire…Merci! beaucoup!
Micheline
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