En photo animalière éthique, j’ai vite compris qu’il fallait parfois sacrifier son confort pour espérer capturer les images dont je rêve. Parfois, ce sont les moustiques, les vagues sur le lac en kayak, le vent qui fouette… et très souvent, dans mon cas, c’est le froid, et quoi de mieux que de parler du froid et de la neige quand la chaleur arrive.
La neige
Je vois souvent des traces de cerfs sur un sentier bien dégagé. Si j’arrive à être là au bon moment, je pourrai peut-être repartir avec des images exceptionnelles. Je les imagine déjà : un paysage tout blanc, un cerf au milieu, calme, majestueux.
Mais quand je rêve d’images, je ne pense jamais à ce qu’il faudra faire pour y arriver. Ça, c’est un problème pour le moi du futur. Moi, je rêve.

La préparation
Je guette la météo pour être sûr de sortir en pleine tempête. Je veux la vraie tempête, le vrai mauvais temps. Je prépare tout. De quoi m’asseoir par terre. Mon gros manteau pour me protéger du froid, du vent glacial et de la neige qui s’infiltre partout. J’embarque dans mon sac un réchaud, un peu de nourriture, une trousse de survie et de quoi faire un feu, si jamais je suis mal pris.
Sur le terrain
Arrivé sur place, je m’installe discrètement. Il fait encore nuit. Je ne veux déranger aucun habitant de la forêt. La tempête qui fait rage dehors et le vent me sont favorables. Ça couvre mes bruits et ça masque mon odeur.
À la lueur de ma frontale, je fais des gestes mille fois répétés. Je place quelques branches au sol, j’en plante derrière moi pour faire un petit dossier. Et voilà mon trône de fortune. J’ajoute un coussin isolant. Je sors le trépied, je le camoufle avec des branches tombées.

Puis vient le moment critique : me changer. J’ai transpiré pendant la marche. Rester mouillé, même avec le meilleur manteau du monde, c’est l’hypothermie assurée. J’enlève ma veste, mon chandail, j’enfile des vêtements secs. Le froid est brutal. Chaque parcelle de peau exposée se fait mordre instantanément. Heureusement, je me réchauffe vite. Je range mes affaires dans mon sac, que je glisse lentement derrière moi. J’enfile des chaussettes sèches. Luxe ultime : je mets des chauffe-pieds dans mes bottes. Je suis au sec, au chaud, en pleine tempête.
Je suis prêt.

Frigorifié
Je fais quelques photos, mais je ne suis pas satisfait.

Problème : mon trépied est trop haut. Le cadrage ne me plaît pas. Pour l’image que j’ai en tête, il faut que je sois au ras du sol pour avoir la neige floue en premier plan. Mais m’allonger ? Là, maintenant ? Ça me paraît impensable. Mes doigts sont tellement gelés qu’ils ont du mal à appuyer sur les boutons.
Je tente quand même quelques images en mettant mon appareil au sol, mais ça ne fonctionne toujours pas. Pas le choix. Il faut se mettre au sol.

Je réchauffe un peu mes mains dans mes mitaines. Puis je détache l’appareil du trépied, le pose à terre, et je m’allonge. C’est dur. Le froid me traverse. Je me dis : t’inquiète, on ne reste pas longtemps. Juste le temps d’une photo.
Les cerfs me remarquent, mais ne fuient pas. Ceux qui étaient couchés le restent. Je sens l’humidité me coller au sol, une sensation désagréable au possible. Mais j’endure.
Je fais plusieurs images dont je suis fier.

Je me redresse, gelé, mais heureux. Je reprends un peu de chaleur en attendant qu’ils s’éloignent. Quand ils sont assez loin, je quitte les lieux. Je ne me change pas pour le retour. Trop frigorifié pour enlever quoi que ce soit.
On se voit dehors!
Thibaud
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1 commentaire
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Très belle chronique