Le Val-Ouest

Dangers des matières résiduelles en agriculture : le gouvernement consulte le public

Que fait-on avec les boues lorsqu’elles quittent les stations d’épuration usées municipales, les papetières ou les industries agroalimentaires? Chaque jour, les citoyens et les entreprises génèrent des milliers de tonnes de matières résiduelles. Des matières qui servent, dans certains cas, de fertilisants en agriculture et en foresterie. Le gouvernement souhaite mettre à jour les règlements qui encadrent cette utilisation. C’est pourquoi il met de l’avant, du 24 juillet au 7 septembre, une consultation publique.

Le ministère de l’Environnement veut ainsi recueillir les avis, recommandations et opinions sur les modifications qu’il compte apporter à l’encadrement des matières résiduelles fertilisantes (MRF). Qu’on appelle aussi les «biosolides», «boues d’épuration pour épandages agricoles» ou encore «fumier humain».

Nouveau code de gestion des matières résiduelles fertilisantes (MRF)

Chaque année, un peu partout au Québec, plus de 2000 épandages de ces MRF ont lieu. Leur utilisation est encadrée par le Guide sur le recyclage des matières résiduelles fertilisantes. Ce guide établit des seuils de contamination maximum et les restrictions liées à l’utilisation. Comme par exemple les distances minimales à respecter pour préserver des milieux vulnérables tel qu’un cours d’eau. Ou encore l’interdiction de l’utiliser pour certaines cultures, dont celles aux fins de consommation humaine.

Raisons de la consultation publique

Le gouvernement organise cette consultation publique parce qu’il souhaite se doter d’un nouveau code de gestion des matières résiduelles. Pour remplacer le guide existant. Ce code définira les catégories de MRF, fixera leurs conditions d’utilisation et précisera les normes de qualité.

Il veut aussi modifier quatre règlements existants. Le Règlement sur l’encadrement d’activités en fonction de leur impact sur l’environnement. Celui sur les exploitations agricoles. Un autre concernant la valorisation de matières résiduelles. Et enfin le Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection.

Tous ces changements auront des impacts sur les conditions d’utilisation des MRF en agriculture ou en foresterie, l’application de l’encadrement, le rôle des différents acteurs impliqués dans la filière, les vérifications, le type d’analyses requises, les conditions de stockage, etc.

Le ministère présente plusieurs documents en lien avec cette consultation sur son site. Dont une version synthèse du projet et la version intégrale.

Le gouvernement du Québec veut remplacer son Guide de recyclage des MRF par un nouveau code de gestion.  (source : gouvernement du Québec)

Dangers d’utilisation?

L’utilisation de ces boues avait fait grand bruit en novembre et décembre 2022. Radio-Canada mettait en lumière certains dangers quant à leur utilisation comme fertilisants agricoles. Par des reportages comme «Du fumier humain dans les champs» (La semaine verte) et «Une histoire qui ne sent pas bon» (émission Enquête).

Empoisonnement allégué dans la région

On se rappellera aussi que Le Val-Ouest avait publié, l’an dernier, un article sur un couple de Cleveland qui allègue avoir été empoisonné par l’entreposage de telles boues dans un champ voisin de leur propriété. Une affaire qui est actuellement devant les tribunaux.

Pascal Goux, résident du Canton de Cleveland, allègue que sa conjointe et lui, ainsi que leurs animaux, ont été empoisonnés par l’entreposage de MRF dans un champ voisin de sa propriété.  (photo : Sébastien Michon, Le Val-Ouest)

Position du Canton de Cleveland

La municipalité du Canton de Cleveland avait quant à elle demandé au gouvernement du Québec, dans une résolution adoptée à l’unanimité en janvier 2023, de « cesser d’autoriser l’épandage sur les terres agricoles du Québec par le biais d’un moratoire, et ce, le temps qu’un débat public ait lieu sur la question et que soit adopté un cadre réglementaire strict (…). »

Sanctions de l’Ordre des agronomes

À cela s’ajoute le fait que l’Ordre des agronomes a sanctionné des agronomes quant à l’utilisation de ces matières. À titre d’exemples : Mamadou Ari Tchougoune (juillet 2022), Guillaume Boivin (juin 2024), Juan Maria Chiabrera (juin 2024) et Argelia Torres Hernandez (juillet 2024). Sanctions, qui, dans certains cas, sont allés jusqu’à la radiation temporaire.

L’UPA Estrie déconseille d’utiliser des MRF

En 2006, la Fédération de l’Union des producteurs agricoles (UPA) en Estrie a adopté une position de prudence vis-à-vis l’utilisation de ces matières. Puis, en 2011, à la suite d’incidents, l’UPA-Estrie a carrément déconseillé aux productrices et aux producteurs d’épandre ces matières sur les sols agricoles de l’Estrie. En se basant sur le principe de précaution.

Malgré cette position de l’UPA, quelques producteurs de la région choisissent quand même d’utiliser ces boues dans leurs champs.

Malgré le fait que l’UPA-Estrie recommande à ses membres de ne pas épandre ces biosolides, certains producteurs et productrices vont quand même de l’avant. Comme ici, dans un champ à Maricourt, au printemps 2023.  (photo : Sébastien Michon – Le Val-Ouest)

Le gouvernement se veut rassurant

Le gouvernement, de son côté, a pour position de valoriser ces matières pour qu’elles servent de fertilisant. Une solution plus écologique, selon lui, que leur élimination. «L’élimination des matières organiques est l’activité qui contribue le plus aux émissions de gaz à effet de serre (GES) liées à la gestion des matières résiduelles», souligne le ministère dans son feuillet sur la valorisation des MRF.

Cette valorisation s’inscrit dans le contexte de la Stratégie de valorisation de la matière organique du gouvernement. Qui vise à valoriser, d’ici 2030, 70 % de la matière organique.

Le gouvernement affirme qu’elle comporte plusieurs avantages. «En réintégrant ces matières au sol, on recycle des nutriments. Ce qui permet de réduire le recours à d’autres engrais, dont l’extraction, la fabrication et le transport émettent beaucoup de GES. Et dont les gisements s’épuisent de plus en plus. On retourne également du carbone dans nos sols, ce qui permet d’en préserver la qualité et de soutenir la pérennité de l’agriculture au Québec», soutient-on.

Feuillet du gouvernement du Québec qui présente les bienfaits de la valorisation des MRF.  (source : gouvernement du Québec)

Fin du moratoire sur l’importation de boues américaines

Les reportages de Radio-Canada de 2022 avaient mis en lumière les conséquences fâcheuses de l’utilisation, aux États-Unis, de ces boues en milieu agricole. À tel point que, dans certains cas, les agriculteurs n’étaient plus en mesure d’exploiter leur ferme. Ce qui avait fait en sorte que l’état du Maine avait interdit leur utilisation. Conséquence : les entreprises avaient exportées ces matières au Canada, dont au Québec, parce qu’il n’y avait pas les mêmes restrictions.

À la suite de la diffusion des reportages, le gouvernement avait imposé, en mars 2023, un moratoire sur l’importation des boues américaines au Québec. Ce qui a eu pour conséquence, selon le gouvernement, que « certains générateurs [de MRF] ont eu de la difficulté à trouver des débouchés afin d’éviter l’élimination de leurs MRF. »

On apprend, dans l’un des documents soumis pour la consultation, que «l’épandage agricole de biosolides importés adopté en mars 2023 serait levé.» (p. 13) Et ce, parce que les nouvelles conditions de stockage et d’épandage proposées seraient les mêmes pour toutes les MRF, importées ou non.

Le même document allègue que «grâce au projet de code de gestion, les promoteurs économiseraient les frais administratifs associés aux autorisation ministérielles, puisque l’épandage agricole ne nécessite qu’une déclaration de conformité» (p. 27). Ce qui entrainerait, pour ces entreprises, des économies annuelles d’environ 25 000 $.

Les modifications soumises à la consultation publique sont disponibles dans une version synthèse ainsi que dans une version intégrale.  (image : gouvernement du Québec)

Comment participer à la consultation?

Les informations et documents en lien avec cette consultation sont disponibles sur le site du ministère de l’Environnement.

Les commentaires doivent parvenir au ministère par courriel (consultations-mrf@environnement.gouv.qc.ca) d’ici le 7 septembre prochain en utilisant le gabarit fourni.

 

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