Voici le premier d’une série de textes qui se veulent un retour sur mes années d’éducation auprès des enfants. Un très grand merci au Val-Ouest de les accueillir et de les partager.
Mille-neuf-cent-soixante-neuf, corridor, jour.
J’ai deux ans, cheveux fins, tout blonds, blanc blond, visage rond. Je cours dans le corridor. Je cours comme un bébé de deux ans, cahin-caha, balin-balan. Au bout du corridor, y’a un miroir. Au bout du corridor, y’a moi qui cours vers moi qui fonce dedans. D’aplomb. Le miroir se casse, les triangles tombent par terre. C’est dangereux ce qui vient d’arriver.
J’ai dû rebondir, je n’ai rien. Je braille, des tessons s’empilent à mes pieds. Ma mère arrive. Elle voit ça. Un petit paquet de moi tout cassé et l’autre qui braille à côté.
Ma mère commence à pleurer, elle s’approche. Elle a eu peur. Elle tremble. Elle me prend dans ses bras. Nous pleurons, ma mère et moi, dans les bras l’un de l’autre.
C’est le plus ancien de mes souvenirs d’enfance.
Mon premier souvenir d’enfants.
***
Depuis quelques années, je pense écrire mes mémoires d’éducateur. Une idée simple, mais qui se brouille lorsque je cherche la façon de raconter. Je n’y arrive pas, ça tourne en rond. Ça me hante. Je ne comprends pas pourquoi je ne me lance pas, tout simplement. Je crains que ce ne soit pas original. Pas pertinent. C’est peut-être de l’orgueil. Un manque de simplicité. Ou une peur enfouie. Je ne sais plus.
***
Deux-mille-vingt-quatre, cuisine, jour.
Je suis seul, assis au comptoir. C’est l’après-midi, en pleine semaine. À la fenêtre, septembre offre la plus belle lumière de l’année. Je la vois. J’y goûte. J’entends les enfants sur la cour de récréation. Ils piaillent comme des oiseaux.
Je pourrais reconnaître la voix des élèves que j’ai eus. Je n’y suis plus. C’est terminé. Je pense à ma mère qui habite maintenant près de chez moi. Je pense aux personnes qui pourraient entrer un jour, en même temps que moi, dans ce monde d’enfants qui fut ma vie et que je voudrais revisiter. Je me lève, monte jusqu’à la chambre, ferme la porte et me vois, de plain-pied, dans le grand miroir accroché. Un grand corps d’homme, vieilli. Son regard, lui, est le même depuis le début.
Je n’ai plus le choix…je brise la glace.
Un avis au sujet de « Les enfants et moi – Briser la glace »
Merci Nicolas. J’aime beaucoup te lire.
Bonne continuité
Les commentaires sont fermés.