Le Val-Ouest

Déversement d’eaux usées à Richmond : un cas qui n’est pas unique

Le déversement d’eaux usées par la Ville de Richmond dans la rivière Saint-François, du 1er au 4 décembre dernier, n’est pas une exception. D’autres municipalités, ailleurs au Québec, le font aussi de temps à autre.

Rappelons que Richmond a dû procéder au remplacement de deux vannes et d’un clapet. Des travaux, planifiés depuis plusieurs mois, qui visaient une mise aux normes d’équipements qui datent de plus de 40 ans. Le coût est estimé à près de 100 000 $.

Ces travaux ont obligé la ville à déverser dans la rivière Saint-François environ 7000 à 8000 mètres cubes d’eaux usées, plutôt que les 5000 prévus initialement.

Des événements qui marquent les esprits

Bien que ce déversement ait reçu les autorisations nécessaires du ministère de l’Environnement et qu’il ait respecté les règles, il a marqué les esprits. Comme ç’a été le cas pour d’autres déversements, beaucoup plus importants. Comme le fameux «flush gate», qui avait obligé la Ville de Montréal à déverser, entre le 18 et le 25 octobre 2015, 8 milliards de litres d’eaux usées dans le fleuve Saint-Laurent. Ou plus récemment, en mai 2024, le rejet, par la Ville de Sherbrooke, d’une partie de ses eaux usées dans la rivière Saint-François.

Richmond a dû procéder au remplacement de deux vannes et d’un clapet. Des travaux, planifiés depuis plusieurs mois, qui visaient une mise aux normes d’équipements qui datent de plus de 40 ans.  (photo : Sébastien Michon – Le Val-Ouest)

Déversement de Richmond : «pas un gros enjeu»

Gabriel Cliche est conseiller en valorisation de données et qualité de l’eau à la Fondation Rivières. Un organisme qui œuvre à la préservation, la restauration et la mise en valeur des cours d’eau du Québec. Il ne considère pas le déversement de Richmond comme un «gros enjeu».

«L’opération de Richmond n’est pas un recul [pour l’environnement], comme on pouvait le lire de la part de certains citoyens sur les médias sociaux. Ce sont des travaux nécessaires. C’est certain qu’un débordement d’eaux usées a des effets sur l’environnement et qu’on souhaite les éviter autant que possible. Mais il faut comprendre que ce genre de travaux vise justement à éviter que des problématiques beaucoup plus importantes puissent survenir dans des cas d’urgence.»

Même son de cloche du côté de Julie Grenier, directrice de projets au COGESAF. Une organisation qui a pour mission la gestion intégrée de l’eau du bassin versant de la rivière Saint-François. «Il y a des moment où les municipalités n’ont pas le choix de faire des réparations ou d’entretenir des équipements. C’est souvent dans l’optique d’avoir une meilleure performance par la suite.»

Une opportunité de sensibiliser la population

Pierre Avignon est impliqué au sein de Vers un Val vert. Un groupe citoyen qui milite pour des causes environnementales dans le Val-Saint-François. Il croit que cet événement est une opportunité de mieux faire connaître l’enjeu de la qualité de l’eau. «Je pense que les gens ne sont pas tant sensibilisés à l’impact du traitement des eaux et les coûts que ça représente», dit-il.

Gabriel Cliche est d’accord avec ce constat. «Il y a beaucoup de méconnaissance des citoyens par rapport à ce sujet», exprime-t-il.

Pierre Avignon, de Vers un Val vert, croit que l’événement de Richmond est une opportunité de mieux faire connaître l’enjeu de la qualité de l’eau.  (photo : gracieuseté)

Déversements planifiés l’hiver

Périodiquement, les municipalités doivent mettre à niveau leurs installations ce qui implique souvent de déverser des eaux usées dans les cours d’eau. Après avoir obtenu une autorisation du ministère de l’Environnement. Ces déversements se font alors principalement durant la période hivernale, de novembre à mars.

Pourquoi? Parce que c’est le moment de l’année où les effets négatifs sont moindres sur l’environnement.

«Les déversements peuvent avoir une incidence sur la capacité de reproduction des poissons. Il y a alors de la sédimentation qui se dépose dans le lit du cours d’eau, où il y a les frayères. C’est-à-dire les endroits pour la reproduction des poissons. Mais comme ils ne vont pas se reproduire en hiver, il y a moins d’impacts», explique Gabriel Cliche.

Pendant les travaux, des solutions

Des solutions peuvent être mises en place durant des travaux de réfection pour minimiser les déversements. Par exemple, lorsque c’est possible, diriger les eaux usées vers une autre partie du système d’égout. Ou encore pomper les eaux usées dans des camions pour ensuite, une fois les travaux terminés, les remettre dans le système de traitement. Autre exemple : réaliser les travaux en continu, jour et nuit. Pour diminuer le temps de déversement dans un cours d’eau. Des choix qui ne peuvent s’appliquer à tous les cas et qui sont plus coûteux.

Selon Gabriel Cliche, de la Fondation Rivières, certaines solutions supplémentaires peuvent être mises en place, dans certains cas, lors de travaux de réfection d’ouvrage d’assainissement des eaux.  (crédit photo : Eau secours)

Un autre enjeu : les surverses

Ces déversements prévus à l’avance ne sont que la pointe de l’iceberg. Ce qui est plus fréquent, ce sont les «surverses». C’est-à-dire les débordements des eaux usées dans les cours d’eau causés par un surplus d’eau qui se retrouve dans les systèmes municipaux. Dus, par exemple, à de fortes pluies.

La Fondation Rivières comptabilise tous ces déversements planifiés et accidentels dans un «palmarès» publié sur son site Web. Au Québec en 2023, il y a eu 44 765 déversements d’eaux usées dans les lacs et rivières.

Cette compilation indique qu’il y en a eu 56 à Richmond. Bien que ce chiffre paraisse élevé, Gabriel Cliche tient à le mettre en perspective. «C’est certain qu’il y a eu quelques débordements qui se sont produits à Richmond au fil des années, mais il n’y a rien qui me semble dramatique, dans leur situation. Ça ne semble pas être une municipalité avec des enjeux majeurs au niveau de leurs débordements d’eaux usées.»

Ailleurs dans le Val-Saint-François, on en compte 124 à Windsor, 8 à Valcourt et 3 à Bonsecours.

En Estrie, c’est Sherbrooke qui compte le plus de déversements avec 1896 événements l’an dernier. Suivi de loin par Coaticook avec 293.

Ces chiffres semblent toutefois incomplets. Par exemple, l’événement survenu à la station d’épuration des eaux de Racine, à l’été 2023, qui avait fait l’objet d’un article dans Le Val-Ouest, n’est pas comptabilisé.

La Fondation Rivières comptabilise tous les déversements planifiés et accidentels dans un «palmarès» publié sur son site Web. On voit ici une partie du Val-Saint-François.  (image : Fondation Rivières)

Solution : gérer les eaux de pluie

L’une des solutions pour éviter ces débordements est la gestion des eaux de pluie par la municipalité. Une situation qui est loin d’être réglée.

«Des débordements, il va y en avoir encore longtemps. Ça va prendre vraiment beaucoup d’efforts et de travaux pour qu’on arrive à une situation où nous avons des réseaux avec une capacité suffisante pour ne pas déborder. Il n’y a aucun système d’égout qui est à 100 % à l’épreuve de débordement lors d’événements de pluies extrêmes. Et il va y en avoir de plus en plus dans les années à venir», marque Gabriel Cliche.

Pourrait-on faire les choses différemment? Oui. Par exemple en séparant le système des eaux usées de celui des eaux pluviales. Ce qui permettrait d’éviter des débordements. Mais les municipalités ne sont pas dotées de double réseau, en raison des coûts prohibitifs. Des subventions sont toutefois disponibles.

Les municipalités peuvent aussi faire en sorte qu’il y ait moins de surfaces imperméables, qui empêchent l’eau d’entrer directement en contact avec le sol. Par exemple en reboisant certains secteurs.

Les surfaces imperméables, comme l’asphalte, empêchent l’eau d’être absorbée de façon naturelle par le sol.  Ce qui ajoute des surplus dans les systèmes d’assainissement.  (image : Le Val-Ouest /Microsoft Designer)

Des actions possibles pour les citoyens

Les citoyens et citoyennes ont eux aussi la possibilité d’agir. Comment? D’abord en apportant des améliorations à leur résidence.

«Une des choses qu’un propriétaire responsable devrait faire, c’est de s’assurer que les eaux du drain de fondation et des gouttières pour le toit soient redirigées vers le sol de la propriété pour qu’il y ait une infiltration directement sur place. En termes de responsabilité citoyenne, ce serait la première et la plus importante chose à faire», pointe Gabriel Cliche.

Exemples de gouttières dont l’eau est dirigée vers le sol plutôt que vers le système d’égout municipal.  (images : Saint-Mathias-sur-Richelieu)

Autre action possible : réduire la consommation d’eau. Autant lors des déversements planifiés que ceux qui sont causés par la météo. C’est-à-dire de reporter à plus tard le bain, la douche, le lavage des vêtements, l’utilisation du lave-vaisselle, etc. Ce que Richmond avait d’ailleurs conseillé à sa population lors des travaux. «Il y a des gens qui ne font pas nécessairement le lien entre leur consommation d’eau et ce qui est rejeté dans les égouts. Mais tout ce qui entre dans une maison doit sortir; alors ça passe par les égouts», rappelle Rémi-Mario Mayette, directeur général à la Ville de Richmond.

Rémi-Mario Mayette, directeur général à la Ville de Richmond, rappelle l’importance, pour les citoyens, de réduire leur consommation d’eau lors de travaux.  (photo : Ville de Richmond)

Contaminants dans les eaux usées

Un autre enjeu majeur est la présence de contaminants dans les eaux usées qui se retrouvent ensuite dans l’environnement.

«Le traitement qui est généralement fait ne permet pas d’éliminer les contaminants émergents. Comme ceux des produits pharmaceutiques. Il y a aussi des hormones et des microplastiques qui peuvent se retrouver dans l’eau. C’est de la contamination pour laquelle on a encore peu de connaissances. On sait que ça peut représenter un problème, mais on ne sait pas dans quelle mesure. Mais il y a de la recherche qui se fait là-dessus», révèle Gabriel Cliche.

Améliorer les égouts… ou construire un aréna?

L’eau pourrait-elle être mieux traitée avant d’être rejetée dans les cours d’eau? Oui. Mais améliorer les systèmes est très coûteux.

«Les citoyens seraient fâchés de voir leur compte de taxes augmenter. Car c’est vraiment dispendieux. Plus on augmente une capacité de traitement, plus on doit mettre d’argent. Au-delà d’un certain seuil, l’investissement qu’il faut faire pour mettre une technologie plus performante est vraiment élevé comparé au gain qu’on va faire», fait savoir Julie Grenier.

Les élus peuvent aussi avoir moins tendance à privilégier ce type d’investissements. «Ce n’est pas nécessairement vendeur, en élections, de dire : j’ai fait la rénovation de notre réseau d’égout. C’est davantage intéressant de prendre une photo lorsqu’on inaugure un nouvel aréna», illustre Gabriel Cliche.

Julie Grenier, directrice de projets au COGESAF, révèle que la qualité de l’eau de la rivière Saint-François s’est grandement amélioré au cours des dernières années.  (photo : COGESAF)

Peut-on se baigner dans la rivière Saint-François?

La rivière Saint-François est-elle très polluée?

«Même si on a des déversements occasionnels, on remarque quand même une amélioration globale de la qualité de l’eau sur l’année. Grâce aux différentes mesures qui sont mises en place pour améliorer la qualité de l’eau. On voit qu’entre 2006 et 2022, il y a vraiment une progression de la qualité de l’eau à travers le parcours de la rivière dans le bassin versant», expose Julie Grenier.

Mais la situation n’est pas parfaite. «Il y a une détérioration de la qualité de l’eau lorsque la rivière traverse des milieux urbains. Mais il y a une récupération entre ces noyaux urbains», précise la directrice de projets au COGESAF.

Peut-on s’y baigner? «Oui, sauf quand il vient de pleuvoir. Ou lorsqu’il y a des rejets d’eaux usées. La qualité est alors moins bonne. Sinon, la qualité de l’eau est généralement bonne», confie Julie Grenier.

La qualité de l’eau de la rivière Saint-François permet qu’on puisse s’y baigner. Sauf lors de pluies importantes ou de rejets d’eaux usées.  (Crédit photo : Ville de Richmond)

 

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