photo : Jardins du Grand-Portage
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L’écrivain, enseignant et jardinier respecté Yves Gagnon offre une conférence à Valcourt le 9 avril sur la planification et l’organisation du jardin écologique. Le Val-Ouest en a profité pour rencontrer cet homme qui cumule près de 50 ans d’expérience en maraichage et jardinage biologique.

«La conférence offerte à Valcourt traite de l’importance de la biodiversité. De la créer dans son petit potager, peu importe la grandeur. Pour favoriser un équilibre écologique qui permet de faire face aux problèmes de ravageurs, de maladies et de s’adapter aux changements climatiques. J’explique aussi le compagnonnage entre les plantes ainsi que les principes de base pour planifier un jardin. C’est une introduction», fait savoir Yves Gagnon.

«C’est parti pour un 46e jardin!»

Pour l’entrevue, le jardinier prend une pause dans le démarrage de ses semis. «On a libéré de l’espace dans la maison pour commencer à semer les espèces tropicales. Nous nous préparons aussi à ouvrir la serre. C’est parti pour un 46e jardin!», lance-t-il avec enthousiaste.

De fait, Yves Gagnon et sa conjointe Diane Mackay remettent chaque année leurs mains dans la terre des Jardins du Grand-Portage. Des jardins écologiques exceptionnels situés à Saint-Didace, dans la région de Lanaudière.

Yves Gagnon et sa conjointe Diane Mackay entament cette année leur 46e saison de jardinage aux Jardins du Grand-Portage, dans Lanaudière.  (photo : Jardins du Grand-Portage)

Vivre dans une étable, sans eau ni électricité

Lorsque le couple a acheté leur lopin, en 1979, les lieux avaient besoin de beaucoup d’amour.

«Il s’agissait d’une terre longue, mais étroite. Où il y avait une vieille grange abandonnée. C’était un coup de tête. Nous avons trouvé la place et l’avons achetée la journée même. C’était fou!», se souvient-il.

Ces deux jeunes passionnés, dans la mi-vingtaine, se sont retroussé les manches pour transformer le bâtiment agricole et en faire leur maison. Dans un lieu sans eau courante ni électricité. Avec en poche très peu de moyens.

Le lopin de terre où ont décidé de s’établir Yves Gagnon et Diane Mackay, en 1979, a nécessité beaucoup de travail pour en faire leur lieu de vie.  (photo : Semences du Portage)

Apprendre concrètement les rudiments du bio

C’est durant ces premières années de dur labeur qu’Yves Gagnon a pu comprendre, par l’expérimentation, les rudiments du maraichage et du jardinage.

Dès le départ, il était clair pour eux qu’ils utiliseraient des méthodes écologiques et biologiques.

«Nous avions travaillé plusieurs saisons sur des fermes fruitières et maraîchères conventionnelles en Colombie-Britannique. Pour nous, il n’était pas question d’utiliser des produits de synthèse.»

Ils ont ainsi non seulement défriché la terre, mais aussi un domaine peu connu à l’époque. Découvrant les rudiments du compostage, de la rotation des cultures, du contrôle des ravageurs et des maladies. Ainsi que de la récolte, de la transformation et de la conservation des aliments.

Le jeune Yves Gagnon a découvert peu à peu, par l’expérimentation, les rudiments du maraichage et du jardinage bio.  (photo : Semences du Portage)

«J’ai baigné dans la beauté du monde»

Bien qu’Yves Gagnon ait grandi à Laval, sa mère a tenu très tôt à ce qu’il soit en contact avec la nature. À quatre ans, elle l’inscrit à l’école de l’Éveil dirigée par Marcelle Gauvreau. Une proche du frère Marie-Victorin, qui a fondé le Jardin botanique de Montréal.

«Très jeune, j’ai baigné dans la beauté du monde. Mes parents appréciaient les espaces sauvages au sein desquels ils m’entrainaient régulièrement. Doté d’un tempérament solitaire et contemplatif, je parcourais sans peur et sans reproches des kilomètres de forêt, j’escaladais les plus hauts sommets pour m’offrir des points de vue saisissants, je m’incrustais dans les vallées profondes et humides de façon à communier avec les mousses et les lichens, j’humais à pleins poumons les plantes de sous-bois, j’enlaçais les arbres, j’explorais les cavernes formées par des éboulis de roches, j’épousais les saisons et succombais au clair obscur», fait-il connaître avec sa plume dans son ouvrage «Le festin quotidien».

La vie offre parfois de belles coïncidences. Yves Gagnon était figurant dans le film «Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles» sur les amours entre le frère Marie-Victorin et Marcelle Gauvreau. Une oeuvre cinématographique dans laquelle sa fille, Mylène Mackay, incarne le rôle de Marcelle Gauvreau. Une femme que Yves Gagnon a connu lorsqu’il avait quatre ans pour avoir fréquenté l’école de l’Éveil.  (crédit : Marlène Gélineau Payette – Films Opale ©

Écologiste à l’âge de 10 ans

À 10 ans, il assiste à la construction de l’autoroute 15, qui sillonne les Laurentides. Il observe avec ses yeux d’enfant l’abattage d’arbres et le dynamitage de crêtes. Yves Gagnon révèle que cet événement a suscité, sans qu’il s’en aperçoive, sa fibre d’écologiste.

«La tristesse qui m’habitait devant cette destruction incompréhensible d’un paysage qui avait bercé mon enfance […] m’a fait prendre conscience de la préséance du développement économique sur la protection de l’environnement. Ça m’a inoculé cette urgence qui m’habite de protéger la Vie.»

Conférences, visites de jardin et télévision

Yves Gagnon a commencé à transmettre son savoir dans les sociétés d’horticulture en 1984. Après la sortie de son premier livre «Introduction au jardinage écologique». Devenu un classique et réédité plusieurs fois depuis. «À l’époque, les spécialistes en jardinage bio, il y en avait très peu», explique-t-il.

Le premier livre de Yves Gagnon, «Introduction au jardinage écologique», publié en 1984, lui a permis de se faire connaître.  (photo : Semences du Portage)

De fil en aiguille, les amateurs de jardinage s’intéressent de plus en plus à ses cours, ateliers et écrits.

«Lorsque j’offrais mes conférences, j’apportais mes diapositives pour présenter des photos des jardins. Les gens me demandaient s’ils pouvaient venir les visiter. On a donc commencé à accueillir des groupes qui arrivaient en autobus. Diane et moi avons pris plaisir à faire visiter nos jardins et à expliquer nos techniques de travail. Ça fait maintenant 35 ans que nous le faisons.»

Yves Gagnon s’est aussi fait connaître par ses chroniques à l’émission «La semaine verte» à Radio-Canada de 1990 à 2000. En 2022, l’émission lui a d’ailleurs consacré un reportage.

En 2022, l’émission La semaine verte, à Radio-Canada, consacrait un reportage à Yves Gagnon. Une émission à laquelle il a participé comme chroniqueur de 1990 à 2000.  (image : La semaine verte, Radio-Canada)

Auteur, poète et artiste

Le jardinier est un auteur prolifique. Il a signé 13 ouvrages. Majoritairement sur le jardinage, mais aussi deux recueils de poésie. La plupart publiés aux éditions Colloïdales. Une maison d’édition qu’il a fondée.

Il confie qu’il prépare avec passion son prochain livre qui paraîtra l’hiver prochain. «Ce sera un livre d’art. Je suis passionné du minéral. Depuis 30 ans, je fais des photos de roches en bordure du Saint-Laurent. Le livre va s’appeler «Grosses roches». Ce sera un projet poétique et photographique.»

Yves Gagnon fera paraître, l’hiver prochain, un livre d’art dans lequel il présentera des photos de roches qu’il a prises au fil des ans.  (crédit photo : Yves Gagnon)

L’homme a aussi un intérêt marqué pour l’art performatif.

«Je suis un poète et j’aime présenter ma poésie en spectacle. Je me suis donc associé avec des musiciens pour organiser des cabarets poétiques qu’on présente un peu partout au Québec.»

En plus de sa passion pour le jardinage, Yves Gagnon aime monter sur la scène pour chanter et slamer sa poésie.  (crédit photo : page Facebook Planète rebelle)

Regard sur l’évolution du bio au Québec

Quel regard porte-t-il sur l’évolution du bio depuis cinq décennies?

«C’est un mouvement qui a évidemment pris de l’ampleur. Il n’y a plus personne en jardinage qui parle aujourd’hui d’engrais chimiques. À l’époque où j’ai débuté, tout le monde utilisait des engrais de synthèse comme du 20-20-20. Ç’a été une transformation majeure dans les habitudes des jardiniers. Et des projets d’agriculture bio en grande surface se sont aussi implantés un peu partout au Québec. Faisant la preuve que, dans toutes les productions, on peut réussir en bio. Les produits sont aussi davantage disponibles. La dynamique a changé.»

Inquiet des OGM et des pesticides

Malgré ces avancées, Yves Gagnon se dit tout de même très inquiet.

«Je suis fâché de voir comment les multinationales de l’agrochimie se sont infiltrées dans les agences gouvernementales et les institutions publiques qui contrôlent les lois et réglementations en lien avec les organismes génétiquement modifiés (OGM) et les pesticides. Ils sont rendu extrêmement agressifs. Depuis cinq ans, ça s’est beaucoup amplifié.»

Il en donne pour exemple un récent article de La Presse qui mentionne qu’au Québec, les ventes de pesticides ont augmenté pour atteindre, en 2023, 5,4 millions de kilogrammes d’ingrédients actifs, selon un bilan du ministère de l’Environnement.

«On a beau faire plus de jardinage écologique et avoir davantage de fermes en production biologique, les champs de maïs, de soya ou de canola sont là pour rester. C’est très difficile de changer ce «pattern» là qui est établi.»

Yves Gagnon l’illustre en mentionnant le cas de Louis Robert. Un agronome à l’emploi du ministère de l’Agriculture (MAPAQ) qui a temporairement été suspendu pour avoir dénoncé l’influence de l’industrie.

Yves Gagnon s’inquiète de l’influence grandissante de l’industrie dans les agences gouvernementales et les institutions publiques qui encadrent et règlementent l’utilisation des pesticides. Il cite le cas de l’agronome Louis Robert, qui avait temporairement perdu son emploi au MAPAQ pour avoir dénoncé cette situation.  (photo : Sébastien Michon – Le Val-Ouest)

À la recherche de la «perle rare» pour la suite

Depuis quelques années, le couple Gagnon-Mackay pense à ce qui adviendra de leurs jardins. Un premier pas a été franchi en février 2024 par la création d’un organisme à but non lucratif (OBNL), Les Jardins du Portage, qui remplace désormais leur entreprise incorporée.

Le prochain défi : trouver une personne en mesure de prendre la relève. «Nous sommes en processus de trouver la perle rare», résume Yves Gagnon. Cette personne deviendra directeur ou directrice des jardins, alors que les enfants du couple seront propriétaires du terrain et des bâtiments.

L’homme de 71 ans ne souhaite pas pour autant cesser de jardiner. Loin de là.

«Nous ne planifions pas notre relève dans une situation d’urgence. Ça se fait le plus longtemps d’avance possible. Pour que la transition se fasse en douceur. Diane et moi sommes capables de poursuivre nos activités. Mais on sait que ça ne sera pas éternel. La forme physique est toujours là, mais on sent qu’on a un peu moins d’énergie.»

Le couple Gagnon-Mackay pense à ce qui adviendra de leurs jardins. Ils ont entamé des démarches pour s’assurer que leur projet de vie aura une relève.  (photo : Jardins du Grand-Portage)

Récipiendaire du prix Henry-Teuscher

Toutes ces années à transmettre ce savoir a eu des impacts sur la société québécoise. En 2017, le Jardin botanique de Montréal décerne à Yves Gagnon le prix Henry-Teuscher. Qui vise à reconnaître les réalisations significatives d’une personne à l’avancement de l’horticulture au Québec.

«Je suis un passionné du vivant»

Quel legs croit-il laisser aux nouvelles générations? «Je suis un partisan de jardinage et d’agriculture naturelle. Qui travaille avec le sol, une matière vivante. Une vie qu’on doit entretenir avec des pratiques respectueuses. Le deuxième pôle qui me tient à cœur, c’est la biodiversité. De cultiver des végétaux pour créer de la beauté, tout en protégeant la biodiversité d’un jardin. Deux principes de base que j’ai toujours défendus. J’espère que ces principes vont m’être associés, d’une certaine façon. Parce que je suis un passionné du vivant. Ce que je souhaite laisser, c’est l’amour de la nature et l’importance de fusionner avec elle. C’est tellement fondamental pour notre santé physique, mentale et même spirituelle.»

Yves Gagnon et sa compagne Diane Mackay dans leurs jardins à Saint-Didace, dans Lanaudière.  (photo : Jardins du Grand-Portage)

«Depuis mes premiers écrits, je propose le jardinage comme pierre d’assise d’un mode de vie responsable et gratifiant. L’activité permet une communion intime avec les règnes végétal et animal. Il rapproche celui ou celle qui la pratique du cycle des saisons, du cycle des jours, du cycle des matières organiques, en somme du cycle de la vie. Le jardinage contribue à une prise de conscience des assises réelles de notre existence. Bien plus proches de la terre, de l’air et de l’eau que de la Bourse, des actions et du capital.»

 

Conférence 9 avril 2025

La conférence «La planification et l’organisation du jardin écologique» avec Yves Gagnon a lieu le mercredi 9 avril à 19 h au Centre culturel Yvonne L. Bombardier. Prix membre : 10 $, prix grand public : 15 $. Pour réserver sa place : billeterie en ligne ou par téléphone : 450 532-2250 .

 

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