Le Val-Ouest

Donald Dubuc, l’artisan du rassemblement

«Il était une fois», «Swing la bacaisse»… Ce sont-là des formules habituellement accolée à Donald Dubuc. Bien connu pour ses talents de conteur et de calleur de danse traditionnelle québécoise. Ce que le grand public sait moins, c’est qu’à l’instar des héros de ses contes, cet Estrien a lui aussi voyagé par monts et par vaux. Une odyssée qui l’a mené jusqu’à Richmond, devenu son patelin d’adoption depuis presque 20 ans. En voici l’histoire…

Soldat Donald

Quand on entend Donald Dubuc nous transporter dans ses épopées contées ou nous faire danser la bastringue, on pourrait penser que le gène courait dans la famille. Eh bien non! Sa vie professionnelle a plutôt débuté dans… l’armée et dans le domaine de la sécurité privée!

Après avoir étudié en Installation et entretien de systèmes de sécurité, Donald Dubuc travaille dans le domaine. En parallèle, il décide de s’engager au sein de l’unité de réserve du régiment de Maisonneuve.

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Son savoir-être le fait rapidement progresser au sein des Forces où il devient instructeur. Il se retrouve même pour quelque temps à Chypre, pour une mission des Nations Unies.

Dépasser ses limites et travailler en équipe

L’ex-soldat se dit toutefois bien lucide vis-à-vis des conséquences des conflits sur les hommes et les femmes qui y participent.

«J’ai vu les impacts que ça peut avoir sur les gens qui y vont. J’en suis venu à me dire que si ceux qui décidaient d’envoyer le monde à la guerre y allaient eux-mêmes ou y envoyaient leurs enfants, on aurait peut-être le pied un peu moins pesant sur la pédale.»

De son passage dans l’armée, il retient deux leçons. «L’une, c’est d’apprendre à dépasser mes limites et d’aller plus loin que ce que je pensais être capable de faire. L’autre, c’est d’apprendre à travailler en équipe. Si je ne fais pas ma part, quelqu’un d’autre va devoir la faire à ma place, en plus de faire sa part à lui.»

Changez de côté, vous vous êtes trompé

Son métier dans le domaine de la sécurité l’amène à occuper un poste d’agent superviseur à la Place Ville-Marie, à Montréal. Jusqu’à ce qu’un événement vienne briser sa routine.

«J’étais sur ma moto, en train de filer vers le travail. Je me fais couper, je pique une débarque et je tombe sur le dos. Je me relève, sans trop de mal. Et là, je me dis : «Qu’est-ce que je suis en train de faire là?» Je me dépêche pour aller travailler. C’est assez! Je dois faire quelque chose…»

Ce «quelque chose», c’est de quitter son emploi et de voyager. Pour se retrouver à Edmonton, en Alberta. Il s’intéresse alors à la musique. «Je voulais trouver un petit instrument avec lequel je serais capable de voyager. Je n’aurais évidemment pas pu choisir la contrebasse, qui n’aurait pas été très propice au «promenage»!», lance-t-il à la blague.

La flute enchantée

Donald Dubuc choisit ainsi la flûte. Revenu à Montréal à la fin des années 1990, il prend plaisir à participer à des sessions musicales. Jusqu’à un événement qui, à nouveau, sera déterminant pour lui. «À un moment donné, ils ont commencé à tasser la table et à entasser les chaises. En disant : «On va faire une danse!». Danser…. moi? Voyons donc! J’ai écouté et regardé la première danse. Puis j’ai été séduit, envoûté, enchanté.»

C’est ainsi que sa flûte le mène, bien malgré lui, vers la danse traditionnelle.

«J’ai découvert une façon d’être avec les autres que je n’avais jamais croisée avant. Le plaisir d’avoir un contact avec une autre personne, de prendre sa main et de «swinger».»

Aller danser… avec son calepin

La danse traditionnelle est pour lui une véritable révélation. Il s’y intéresse alors sérieusement, avec pour objectif de devenir calleur. Pendant les danses, il apporte avec lui un petit calepin. Où il note minutieusement les figures et les enchainements.

Il se perfectionne ensuite auprès de Gérard Morin, un calleur qui anime les veillées sur le Plateau Mont-Royal, à Montréal, et qui enseigne à l’Espace trad. «Ça m’a permis de polir certains petits coins», glisse-t-il.

Le plaisir de danser ensemble

Pour Donald Dubuc, la danse traditionnelle permet d’interagir différemment avec les autres.

«Il y a une grosse différence pour moi entre danser en même temps et danser ensemble. La danse trad, c’est le plaisir de danser ensemble. En retirant tous les éléments de performance et de talent.»

Nouvelle destination : l’Écosse

Le calleur continue d’avoir des fourmis dans les jambes. Non seulement pour la danse, mais aussi pour le voyage. Sa nouvelle destination : l’Écosse. «Mon premier but, c’était de continuer à apprendre les danses et la musique traditionnelle. Le second, c’était de travailler avec des jeunes.»

Il aboutit ainsi à Glasgow. «C’est là que j’ai vu pour la première fois la Bottine souriante au festival Celtic Connections», confie-t-il.

D’abord les jeunes, après la cornemuse

Donald Dubuc travaille alors comme animateur pour des jeunes du primaire. Dans un programme d’aventure en nature, qui fait partie du cursus scolaire des élèves écossais. «Les enfants vont à un endroit où ils dorment sur place. Ils peuvent y faire du tir à l’arc, des sports nautiques, de l’escalade, etc. Mais ce n’est pas un camp de vacances. C’est un centre d’apprentissage expérientiel», précise-t-il.

Il décide d’apprendre à jouer de la cornemuse. Mais son travail l’empêche d’y consacrer beaucoup de temps. «J’étais déchiré entre mes deux objectifs. Je me suis dit que la cornemuse, je pourrais l’apprendre plus tard. Ce qui fait que c’est, encore aujourd’hui, dans ma liste des «plus tard». Mais bon, ça a l’air qu’on ne peut pas tout faire!»

Agent de projet pour Katimavik

Lorsqu’il revient au Québec, Donald Dubuc souhaite continuer de travailler auprès des jeunes. Il devient alors agent de projet pour Katimavik. Un programme de bénévolat pancanadien pour la jeunesse (17 à 21 ans) fondé en 1977 par le sénateur Jacques Hébert.

Pendant neuf fois, Donald Dubuc accompagne 11 jeunes qui participent à des projets dans trois régions différentes du Canada. «C’était un emploi avec une courbe d’apprentissage assez prononcée. C’était merveilleux et intense à la fois.»

Aider des jeunes de la rue

De retour à Montréal, il travaille pour un OBNL qui offre des emplois temporaires à de jeunes adultes. «On travaillait parfois sur des fermes, on faisait de l’aménagement paysager ou encore on pouvait ramasser des seringues dans les ruelles. Ça permettait à des jeunes de faire des sous d’une autre façon que de manière illicite.»

On l’interpelle ensuite pour coordonner une table de concertation. «Je ne savais pas ce que c’était. Et je me retrouve dans le quartier Saint-Michel, à Montréal, qui est un quartier quand même un peu chaud, avec des gangs de rue. Encore une fois, une riche expérience!», souligne-t-il.

Le goût de vivre à une échelle humaine

C’est à cette époque qu’il fait une autre prise de conscience qui influence la suite de son parcours.

«Nous étions des gens payé pour travailler pour un milieu. Mais lorsque je retournais chez moi, dans un autre quartier de Montréal, je ne savais pas ce qui s’y passait. Je n’étais pas impliqué du tout où j’habitais. Ça nous a amené, ma conjointe et moi, à réfléchir sur ce que nous voulions. Et la conclusion, c’était qu’on avait le goût de vivre à une échelle un peu plus humaine.»

C’est là que sa conjointe et lui décident de quitter la ville pour se diriger vers l’Estrie. D’abord Cookshire. Puis finalement Richmond. Où le couple tombe sous le charme d’une vieille maison. «À l’époque, je n’aurais pas su placer Richmond sur une carte», avoue celui qui est désormais étroitement associé, dans l’esprit des gens, à ce patelin de l’Estrie.

Projet de leadership pour ados

Il se fait embaucher par la Ville de Richmond comme agent jeunesse grâce à une subvention du Fonds régional d’investissement jeunesse. Il organise différentes activités de développement pour les jeunes.

«J’ai monté une formation sur la fonction d’animateur. Avant que ça devienne officiel au Québec. L’animation, ça peut être soit la plus belle chose, lorsque tu as les bons outils. Ou ça peut être l’enfer. La qualité de l’expérience des jeunes qui viennent à un camp de jour dépend de la qualité de ceux qui animent. Meilleur est l’animateur, meilleure sera l’expérience qui va en découler.»

Selon lui, apprendre les rouages de l’animation peut ensuite servir de tremplin pour bien des emplois. «J’ai récemment animé des ateliers de contes avec des classes du secondaire. J’avais côtoyé la prof lorsqu’elle avait 12 ans, comme animatrice. Les expériences qu’on fait vivre à des jeunes, ça les nourrit pour toujours.»

Animation d’une activité organisée par l’organisme Le vent dans les arts. Réunissant des enfants et des personnes âgées à Windsor, en Estrie, en avril 2024.  (crédit photo : Laurent Frey)

Soutenir le développement des communautés

Pendant la pandémie de Covid-19, Donald Dubuc complète un AEC en mobilisation et développement des communautés locales et travaille pour l’Observatoire estrien du développement des communautés. «J’ai vu un autre aspect du travail de concertation, dans l’esprit du développement des communautés. Ça m’a aussi permis de professionnaliser ma pratique.» Il soutient ainsi plusieurs organisations en leur apprenant des façons d’animer leurs rencontres en ligne.

Donald Dubuc découvre aussi que dans une démarche d’implication citoyenne, chacun a sa place. «Ça te prend des marathoniens. C’est-à-dire des gens qui resteront là dans la durée, pour soutenir une démarche. Et ça prend des sprinters. Qui viendront ponctuellement insuffler au groupe des impulsions.» Donald Dubuc se reconnait parmi les sprinters.

Donald Dubuc en train d’animer l’activité Performance PME organisée par la MRC du Val-Saint-François en octobre 2024.  (crédit photo : Jean-Michel Naud / MRC du Val-Saint-François)

Travailler avec un groupe musical «connu»

En 2021, il reçoit un téléphone inattendu.

«Je suis au parc à prendre une marche avec ma famille. On me demande si je serais intéressé à chorégraphier une danse traditionnelle pour la vidéo d’une groupe musical québécois connu. Sans me dire lequel.»

Il apprend plus tard que le groupe en question, ce sont les Cowboys fringants. Mais en pleine pandémie, préparer un vidéoclip n’est pas chose facile. Et comble de malheur, la réalisatrice apprend que Karl Tremblay, qui devait jouer le rôle principal, n’est pas en mesure de le faire. Qui se retrouve alors à l’écran du clip «Ici-bas» ? Donald Dubuc! «Je n’ai pas couru après», exprime-t-il.

 

Il se souvient encore du froid de canard qui régnait pendant les tournages. Alors que son personnage était habillé légèrement, «comme un gars de Montréal».

Mais ce qui l’attriste, c’est le fait que le vidéoclip devait présenter des séquences de danse. Pour lesquelles des citoyens de la région s’étaient déplacés deux fois pour les tournages. Des images qui n’ont pas été retenues lors du montage final.

«Je suis un artisan du rassemblement»

Aujourd’hui, Donald Dubuc est travailleur autonome. En tant que conteur, calleur, animateur, facilitateur, maître de cérémonie et même célébrant de mariages ou de funérailles.

«J’ai plusieurs pratiques. Ce sont des branches qui sont reliées par un tronc commun : le fait que les gens se rassemblent. Je suis en quelque sorte un artisan du rassemblement. J’œuvre à ce que ces moments ensemble soient significatifs et mémorables. Qu’ils fassent du sens.»

Il se voit comme un «facilitateur» ou un «gardien» des événements qu’il anime. «J’offre un cadre flexible, tout en gardant un œil sur où on s’en va. Et je propose une route pour y aller. Je guide l’expérience avec une ouverture vis-à-vis de ce qui va se passer.»

L’homme aux 1001 talents d’animateur, en train d’animer la fête de la Saint-Patrick à Richmond en 2023.  (crédit photo : Laurent Frey)

Se rassembler, au cœur de l’expérience humaine

Donald Dubuc porte un regard pénétrant sur notre monde et le rôle qu’il souhaite y jouer.

«Nous sommes dans une époque où on cherche à se divertir constamment. Mais se divertir de quoi? Ça nous éloigne de ce qui est vrai et important. Ces moments et ces rassemblements que j’anime, ce sont des occasions d’être connectés à l’expérience humaine. Au-delà du divertissement.»

Il poursuit : «Quand je raconte une histoire ou que j’anime, je n’ai pas besoin d’écran ou de PowerPoint. Les gens peuvent m’écouter. Qu’il y ait ou non de l’électricité. C’est la même affaire pour la danse. Ce sont des pratiques de proximité. Que font les humains lorsqu’ils se rassemblent? Ils font de la bouffe, vont boire de la bonne eau fraiche et après, ils vont se raconter des histoires, chanter et danser. C’est la base, partout sur Terre. »

Les histoires sont le mortier qui tient le monde

Le conteur croit au pouvoir formidable des mots.

«Le mortier qui tient le monde, ce sont les histoires qu’on se raconte. Des histoires communes qui parlent du passé, du présent et du futur. Mais je trouve que nous n’avons pas tellement de ce type d’histoires, ces temps-ci. Nous vivons dans un contexte de fragmentation. Soyons conscients de ce à quoi nous nous exposons, par les écrans. De ce qu’on nous raconte à propos du monde qui nous entoure et à propos de nous-même. Changer les histoires, ça peut changer le monde.»

Donald Dubuc souhaite continuer d’éveiller les autres à connecter à leur créativité. «C’est important qu’il y ait des histoires qui, minimalement, encouragent les gens à devenir les personnages principaux de leur histoire. Il y a un plaisir à être l’artisan de son propre divertissement. De mettre soi-même la main à la pâte pour faire une cabane à moineaux, peindre, danser, chanter, jouer de la musique…»

(crédit photo : Annick Sauvé)

«L’une des plus belles expériences de ma vie»

Comment explique-t-il l’engouement, encore présent aujourd’hui, pour la danse traditionnelle?

«La danse, c’est du jeu. C’est rare que des adultes aient l’occasion de jouer ensemble. D’avoir un contact avec d’autres. La danse traditionnelle callée, telle qu’on la fait, évacue tout concept de performance. On est dans le plaisir. Et en même temps, on accomplit quelque chose. Pas parce qu’on danse en même temps. Mais parce qu’on danse ensemble. C’est un contact humain incroyable! Il y a des gens qui viennent me voir après des danses et qui me disent : «C’est la première fois que je danse. Et c’est l’une des plus belles expériences de ma vie».»

«Mettre ma pratique au service de la communauté»

Le conteur confie que 2024 a été pour lui une «année de rédemption». «J’ai eu 53 ans en décembre. Mine de rien, j’avance en âge. Je commence à penser à ce que je veux léguer et laisser derrière moi. En toute humilité. J’ai le goût de donner un nouvel élan, une nouvelle impulsion à mon travail. D’être davantage clair et intentionnel par rapport à ce que j’offre, plutôt que de seulement réagir à ce qui vient à moi. De prendre le temps de recentrer tout ce que je fais et comment je le fais. Je veux aussi que mon travail continue d’être utile.»

Justement, comment perçoit-il l’utilité de son travail?

«Animer quelque chose, c’est de lui donner de la vie. Alors pour moi, l’animation, c’est la base de tout. Ça me permet d’être encore plus capable de jouer le rôle que j’ai à faire dans le monde. J’essaie de mettre ma pratique au service de la communauté. J’amène les gens où je suis moi-même allé. J’y vois une responsabilité d’engagement et de cohérence. Et, par le fait même, ça m’amène moi-même à «être». Parce que la meilleure façon de changer le monde ou de l’influencer dans ce qu’on croit être le mieux, c’est de devenir soi-même un modèle.»

(crédit photo : Isabelle Roy)

 

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