Les élus du Val-Saint-François se disent inquiets quant à l’épandage de boues d’épuration en agriculture et en foresterie. Le 11 décembre dernier, ceux-ci ont adopté une résolution demandant au ministre de l’Environnement de nouvelles consultations publiques sur la question. Qui permettraient d’étudier en détail le nouveau cadre normatif proposé par le gouvernement.
C’est la municipalité de Cleveland qui avait d’abord sonné l’alarme en prenant position publiquement dans ce dossier en septembre dernier. Par la suite, plusieurs municipalités du Val-Saint-François avaient adopté des résolutions en appui à Cleveland. Ce qui a mené à la position commune présentée récemment par le Conseil de la MRC.
«C’est un dossier très complexe. Qui demande une certaine prudence et une compréhension accrue quant aux conséquences sur la santé humaine et la santé des sols. Ça nous semblait important, à l’échelle de la MRC, d’amener cet élément de précaution. Un principe en développement durable. Lorsqu’on n’est pas certain de quelque chose, on doit rester prudent», indique Geneviève Giasson, directrice générale de la MRC du Val-Saint-François.

Le ministère au courant de la démarche
Questionné par Le Val-Ouest, le Ministère de l’Environnement confirme être au courant de la démarche entreprise par la MRC du Val-Saint-François. «Le ministère a bien reçu la résolution qui lui a été adressée. Nous la traitons présentement avec toute l’attention qu’elle mérite et la MRC recevra prochainement une réponse de la part du ministère», répond la porte-parole Ghizlane Behdaoui.
Préparation d’un nouveau code de gestion
Rappelons que le gouvernement du Québec veut se doter d’un nouveau code de gestion des matières résiduelles fertilisantes (MRF). Pour remplacer le guide existant. Ce code définira les catégories de MRF, fixera leurs conditions d’utilisation et précisera les normes de qualité.
Pour ce faire, le gouvernement va modifier quatre règlements existants. Le Règlement sur l’encadrement d’activités en fonction de leur impact sur l’environnement. Celui sur les exploitations agricoles. Un autre concernant la valorisation de matières résiduelles. Et enfin le Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection.

Consultation tenue en été
Le ministère de l’Environnement a mis de l’avant, du 24 juillet au 7 septembre dernier, une consultation publique sur ces questions. Au total, 36 intervenants ont déposé un mémoire.
La MRC du Val-Saint-François croit que cette consultation n’a pas été tenue dans les meilleures conditions. «C’est un moment où tout le monde n’a pas vu passer l’information. Il n’y a pas eu beaucoup de publicité et de couverture médiatique en lien avec ces consultations. Le délai était aussi assez court. Ça nous préoccupe quant à la transparence», fait savoir Geneviève Giasson.
Lors d’une conférence de presse tenue en septembre, le directeur général de la municipalité du Canton de Cleveland, Martin Lessard, avait lui aussi questionné cette démarche.
«Pourquoi avoir tenu une consultation publique en plein été, au moment où les organisations sont au ralenti? Si on voulait que personne ne s’en aperçoive, il fallait exactement la tenir à ces dates.»

Plus de contrôle et de surveillance
Pierre Tétrault, préfet de la MRC et maire de Valcourt, explique que les élus veulent une augmentation du contrôle et de la surveillance de l’épandage. Qui serait fait par le ministère ou par un organisme expert indépendant, sans lien avec l’industrie des fertilisants.
Actuellement, les agronomes qui recommandent aux producteurs agricoles l’utilisation de ces matières travaillent en même temps pour les entreprises. Ce qui crée d’importants enjeux éthiques. L’Ordre des agronomes a d’ailleurs dû sanctionner certains de ses membres : Mamadou Ari Tchougoune (juillet 2022), Guillaume Boivin (juin 2024), Juan Maria Chiabrera (juin 2024) et Argelia Torres Hernandez (juillet 2024). Des sanctions, qui, dans certains cas, sont allés jusqu’à la radiation temporaire des agronomes.

Où se font les épandages?
La MRC du Val-Saint-François est-elle en mesure de savoir où se font les épandages? La directrice générale répond par la négative.
«Il y a des municipalités qui sont avisées [par les entreprises], mais pas toutes. Ce qu’on sait n’est probablement que la pointe de l’iceberg.»
C’est pourquoi la résolution adoptée par les maires et mairesses mentionne que les municipalités veulent être avisées de tout épandage sur leur territoire, peu importe la quantité ou le type de MRF. «Il y a des éléments qui échappent à la vision des municipalités. Nous trouvons important d’être en mesure d’assurer une bonne vigilance de ce qui est épandu», fait savoir Geneviève Giasson.
Dans la foulée, la MRC demande au gouvernement la tenue d’un registre public, facile d’accès, qui faciliterait la traçabilité des lieux d’épandage. Cela permettrait aussi, selon les élus, de mieux évaluer la bioaccumulation sur les terres agricoles.

Une réaction trop tardive?
Michel Brien, président de l’UPA-Estrie, dit avoir été tenu au courant des intentions de la MRC. Il pense toutefois que la réaction vient peut-être trop tard. Compte tenu du fait que le gouvernement, à la suite des consultations de l’été dernier, a poursuivi son travail au cours de l’automne. «De nouvelles règles devaient être présentées en décembre. Elles le seront probablement en janvier.»
Il ajoute qu’il sera toujours possible de réagir par la suite.
«Est-ce que ce sera suffisant pour exempter les terres agricoles de contamination? Est-ce que ça va rassurer la population? Si ce n’est pas le cas, on pourra alors demander [au gouvernement] de recommencer le processus.»

«Nous conseillons de ne pas en utiliser»
Le président de l’UPA-Estrie rappelle que son organisation ne prône pas l’utilisation de ces matières sur les terres agricoles ou les lots forestiers.
«Par mesure de précaution, nous conseillons à nos producteurs de ne pas en utiliser. Mais il y en a qui le font quand même. Ça se fait toutefois moins qu’ailleurs au Québec. Parce que nous avons en Estrie beaucoup de productions animales, qui permettent d’avoir accès à du fumier et à du lisier.»

Un couple allègue un empoisonnement
Ces dernières années, un dossier avait retenu l’attention en Estrie. Pascal Goux et Irène Senécal, un couple de Cleveland, allègue qu’un stockage de boues municipales, dans un champ agricole voisin de leur propriété, leur aurait causé des problèmes de santé ainsi qu’à leurs animaux. Ceux-ci avaient d’ailleurs entamé une action judiciaire pour poursuivre les fautifs.
Une entente hors de cour a mis fin au litige en octobre dernier. «Ce fut un processus long et ardu. Mais je vous confirme que le système de justice fonctionne. Nous sommes satisfaits de la transaction homologuée par l’honorable juge Sylvain Provencher dans son jugement et nous nous y conformerons», commente brièvement Pascal Goux, compte tenu du caractère confidentiel de l’entente.
Ce citoyen se réjouit de la position prise par les élus de sa région. Il ajoute que des changements majeurs s’imposent quant au contrôle de ces matières.
«Dans la situation actuelle, il y a un guide pour l’encadrement. Mais il n’est pas associé à des règlements. J’ai vraiment hâte que des règlements soient en place. Parce que tu ne peux pas faire appliquer une loi s’il n’y a pas de règlements. L’encadrement, c’est bien beau, mais ça n’a pas de valeur juridique.»

Les boues américaines : pas les bienvenues au Québec
Dans l’esprit du principe de précaution mentionné précédemment, la MRC demande de poursuivre l’interdiction des biosolides américains. Le gouvernement du Québec avait en effet annoncé, en mars 2023, un moratoire temporaire sur l’épandage agricole des biosolides importés des États-Unis.
Dans sa réflexion, le gouvernement considère toutefois autoriser à nouveau l’importation de boues américaine. Si celles-ci sont en-deçà des nouveaux seuils de concentration de SPFA (substances nocives pour l’environnement et la santé) qui seront décidés.
Une avenue qui inquiète Pascal Goux.
«Les entreprises vont pouvoir recommencer à utiliser des boues américaines. Étant donné que le gouvernement se sera doté de règlements sur les SPFA. Ce que l’on dit dans la région c’est : nous, on n’en veut pas! Même si vous les testez.»

Une position qui n’est pas nouvelle
Cette position de la MRC du Val-Saint-François quant aux MRF n’est pas nouvelle. En février 2023, les 18 élus avaient adopté à l’unanimité une résolution demandant au gouvernement un moratoire sur l’importation de biosolides étrangers. Et, ce, dans la foulée des reportages présentés en novembre 2022 à l’émission Enquête («Une histoire qui ne sent pas bon…») ainsi qu’à l’émission La Semaine verte («Boues d’épuration dans les champs») sur les ondes de Radio-Canada.
À LIRE AUSS dans Le Val-Ouest :
Épandage de boues en agriculture : Cleveland sonne l’alarme (septembre 2024)
Dangers des matières résiduelles en agriculture : le gouvernement consulte le public (août 2024)
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Fumier humain : Cleveland, la première à réagir (janvier 2023)
1 commentaire
Armin Ruf
Ce beau de voir le municipale e révolte contre cette façon empoisonnée Notre terre pour le génération à venir bravo
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