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«Aider les humains, c’est un travail extrêmement gratifiant»

La Racinoise Julie Lorrain emprunte un chemin moins fréquenté. Elle a choisi, par passion, d’offrir ses services de travail social en pratique privée. Ce qui est le cas de seulement 5 % des travailleuses sociales au Québec.

« J’ai eu une chance inouïe »

Son parcours est atypique. Julie Lorrain a décidé, au début de la quarantaine, de retourner aux études. D’abord pour faire un baccalauréat en psychologie à l’Université Bishop’s. Puis ensuite une maîtrise en travail social à l’Université de Sherbrooke.

Difficile, de retourner à cet âge sur les bancs d’école? Elle affirme que non. «C’était fantastique. J’ai eu une chance inouïe. J’étais heureuse.»

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Départ du réseau public

Après six ans d’études à temps plein, elle fait son retour sur le marché du travail. On l’embauche au CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec, où elle œuvre pendant cinq ans.

Après son départ du CIUSSS, elle démarre, en 2023, sa pratique privée à Racine. Une municipalité de l’Estrie où elle réside depuis 16 ans.

La pratique privée, un phénomène récent

Bien peu de travailleuses sociales font le même choix que Julie Lorrain. Un fait confirmé par Mélanie Bourque, professeure et chercheuse à l’École de travail social de l’Université de Sherbrooke. Elle se spécialise dans l’étude des transformations du système de santé et l’évolution de la carrière des travailleuses sociales.

« Il y a une majorité écrasante de travailleuses sociales qui travaillent dans le réseau de la santé et dans le secteur communautaire. C’est un phénomène récent que des travailleuses sociales choisissent la pratique privée. Mais ça semble être croissant », expose Mélanie Bourque.

« Les professionnelles ont l’impression de ne pas rendre des services adéquats »

La chercheuse croit que les conditions de travail dans le secteur de la santé peuvent en partie expliquer ces départs. « Les modes de gestion ont changé dans le réseau de la santé et des services sociaux. On y utilise une approche de gestion par résultats, qui vise la performance. Les travailleuses sociales ont maintenant des charges de travail beaucoup plus grandes qu’avant. On contrôle et on encadre leur pratique. »

Afin de répondre à ces exigences de performance, les professionnelles exercent dans des conditions où on ne reconnaît plus autant leur expertise. «Elles ont l’impression de ne pas rendre des services adéquats. Et ça ne répond pas aux besoins de la population. Qu’arrive-t-il lorsqu’on ne répond pas aux besoins? Les gens reviennent dans le système de santé. C’est ce qu’on appelle le phénomène des « portes tournantes», soutient Mélanie Bourque.

Une autre des conséquences majeures : l’épuisement professionnel. Une situation vécue par un nombre croissant de travailleuses sociales, observe la chercheuse.

Bien qu’une majorité de travailleuses sociales oeuvrent dans le réseau de la santé ou dans le secteur communautaire, certaines choisissent la pratique privée. Un phénomène qui semble croissant, selon Mélanie Bourque, chercheuse à l’Université de Sherbrooke. (photo : gracieuseté)

De plus en plus de travailleuses sociales au privé

Julie Lorrain reconnaît qu’elle est témoin d’un certain exode. « Plusieurs collègues qui travaillaient avec moi à Drummondville ont elles aussi choisi de commencer une pratique privée. Soit à temps plein ou à temps partiel. »

Elle affirme toutefois que, contrairement à d’autres, elle a fait le choix de quitter le réseau parce que c’était un rêve longuement mûri. Depuis l’adolescence, Julie Lorrain chérissait le désir d’avoir sa propre pratique et de faire de l’intervention. Elle pensait d’abord que ce serait comme psychologue. Mais son choix s’est finalement arrêté sur le travail social.

Évaluation psychosociale et counseling

Son expertise est d’abord concentrée sur la clientèle aînée. Elle réalise entre autres des évaluations psychosociales permettant de faire homologuer un mandat de protection ou dans le cadre de la tutelle d’une personne majeure. Des actes réservés aux travailleuses sociales.

« Lorsqu’on utilise un mandat, une personne perd ses droits. Avant sa mise en œuvre, un médecin doit faire une évaluation médicale. Et le travailleur social fait ce qu’on appelle une évaluation psychosociale. On va par exemple évaluer l’autonomie fonctionnelle et décisionnelle de la personne. Est-ce qu’elle a vraiment besoin de protection? Qui est son mandataire? Est-ce que le mandataire veut jouer son rôle? Est-il capable? Est-il bien intentionné?», explique-t-elle.

Elle offre aussi du counseling aux enfants, adultes, couples ou familles pour toutes sortes de problématiques : relations interpersonnelles, estime de soi, gestion des émotions, gestion du stress, anxiété, dépendances, etc. « Comme travailleuse sociale, on ne fait pas de thérapie. Le counseling, c’est un accompagnement. Nous travaillons le fonctionnement social de la personne. Nous voyons ce que nous pouvons faire pour l’aider aujourd’hui », précise-t-elle.

La travailleuse sociale Julie Lorrain exercice sa pratique privée à Racine. Elle offre, entre autres, des évaluations psychosociales et du counseling. Un travail qu’elle dit adorer. (photo : gracieuseté)

Un système à deux vitesses?

Tous les services de cette travailleuse sociale ne sont évidemment pas couverts par le régime de santé public puisqu’ils sont offerts en pratique privée. Certains d’entre eux sont toutefois remboursés par des programmes d’aide aux employés (PAE).

S’il y a de plus en plus de professionnels de la santé qui décident de faire ce choix, y a-t-il un risque pour le système public? Mélanie Bourque croit que oui. « Quand les gens ont les moyens, ils peuvent décider de se tourner vers le privé. Ce qui crée un système à deux vitesses. »

Un moyen qui permet d’avoir accès à des services beaucoup plus rapidement. Julie Lorrain révèle que pour obtenir des services similaires aux siens, la clientèle du réseau public doit attendre un peu plus d’un an.

Une clientèle hors de la région

Pour le moment, la clientèle de Julie Lorrain provient des quatre coins du Québec, mais peu de la région immédiate de Racine. « Je ne suis pas encore assez connue dans le patelin comme travailleuse sociale », reconnait-elle.

« La pandémie a eu une influence négative »

Depuis la pandémie, elle remarque chez sa clientèle davantage d’isolement. Autant chez les aînés que chez les adultes, dont plusieurs pratiquent désormais leur métier par télétravail.

Elle se fait d’ailleurs du souci vis-à-vis de l’approche virtuelle, de plus en plus présente dans plusieurs sphères d’activités. Bien qu’une majorité de sa clientèle la consulte à distance, elle dit préférer les rencontres en présentiel. «Il n’y a rien qui remplace le fait d’être avec une personne. De la voir face à face et de poser une main sur son bras. » Elle ajoute, en riant : « L’avantage, c’est que mon bureau est propre et ne s’use pas!»

Voir la société « en coulisses »

Pour Julie Lorrain, le travail social permet de voir la société « en coulisses », c’est-à-dire derrière l’image que les gens projettent socialement. «Dans notre vie de tous les jours, on ne voit pas comment les gens ne vont pas bien. Je trouve que c’est un grand privilège de pouvoir les rencontrer de cette façon-là. Et de travailler avec eux pour améliorer un peu les choses.»

La passion est véritablement au cœur de ses actions. « Aider les humains, c’est un travail extrêmement gratifiant. J’adore ça! Je vous le dis et j’en ai des frissons », confie-t-elle.

 

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